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La dame qui l’accompagnait, mise aussi avec un goût irréprochable, pouvait avoir une quarantaine d’années et semblait prêter une complaisance quelque peu étudiée aux observations de la jeune fille.

Georges Raymond resta pendant quelques instants immobile, retenant son souffle comme s’il eût craint de faire envoler cette ravissante apparition. La conversation aurait pu se prolonger pendant une heure que Raymond n’aurait pas fait un geste ; mais un mouvement parut s’opérer dans l’intérieur, tandis que le marchand saluait bien bas, et la jeune fille sortit du magasin avec cette vivacité charmante et contenue qui révèle l’habitude du grand monde.

Georges était presque devant la porte, il était impossible que la jeune fille ne le vît pas, et le regard du jeune homme fixé sur elle semblait lui dire : « Vous rappelez-vous ? » Le regard de la jeune fille croisa en effet le sien ; mais il reçut un coup de poignard dans le cœur : la ravissante inconnue avait abaissé son voile avec une glaciale indifférence ; puis, prenant le bras de sa compagne, elles s’engagèrent rapidement dans la rue de Lille.

Georges Raymond ne songea plus à ses amis qui causaient encore au coin de la rue des Saints-Pères. Obéissant à l’impulsion qu’il avait ressentie dès la première minute en revoyant la jeune fille, il suivit de loin ces deux femmes sans se rendre compte de ce qu’il faisait ; puis il se rapprocha quelque peu en s’apercevant que son approche ne changeait rien à l’allure simple et posée de leurs mouvements.

La rue était presque déserte, et Georges eut le temps d’admirer cette chose merveilleuse qui ne peut se décrire : la démarche d’une Parisienne élégante avec un