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les pirates de la mer rouge

— Non ; mais un homme, si vaillant qu’il soit, consulte la prudence. Si Abou Seïf tombe entre tes mains, tu le tueras, puis tu seras obligé de quitter immédiatement le pays ; que deviendra alors la fille de ta fille, qui sera à la Mecque avec Halef ?

— J’indiquerai à Halef le lieu ou il nous retrouverait en ce cas. Hanneh sera de retour, je l’espère, avant notre départ. Elle est la seule d’entre nous qui n’ait pas fait le pèlerinage ; je veux qu’elle l’accomplisse ; plus tard elle ne le pourrait peut-être pas. Je l’y eusse envoyée depuis longtemps si j’avais trouvé un delyl fidèle et qui m’inspirât confiance.

— As-tu décidé l’endroit où tu veux te retirer ?

— Nous nous rendrons au désert d’El Nahman, vers Mascate. De là j’enverrai peut-être un courrier à El Frat (région de l’Euphrate), pour prier les Beni-Chammar ou les Beni-Obeid de nous recevoir parmi eux. »

Cependant l’aurore faisait place à un brillant soleil, montant lentement sur Phorizon. C’était l’heure de la prière ; les Àteïbeh s’agenouillèrent, encore tout dégouttants du sang versé. Après cet acte religieux, les tentes furent pliées ; puis tout le camp se mit en route. Je pus voir alors quelle quantité d’objets avaient été rapportés du navire pillé. Le butin me sembla prodigieux ; les hommes, excités par leur prouesse de la nuit, avaient un aspect tout à fait farouche. Je me tins assez en arrière pendant la marche. Il me répugnait d’avoir été mêlé à ces meurtres, à ce pillage. Je ne trouvais pourtant aucun reproche sérieux à me faire ; sans moi les choses se seraient probablement passées de même. Bientôt l’approche de la Mecque vint détourner ma pensée d’un travail vraiment pénible.

Là, devant nous, me disait-on, se trouvait la Mecque ! cette fameuse, cette terrible cité si sévèrement interdite aux chrétiens, si vénérée par les musulmans !

Devais-je tenter d’y pénétrer ? J’étais curieux de la voir. Mais, après tout, serais-je bien avancé quand j’aurais vu la Mecque ? N’était-ce pas s’exposer de gaieté de cœur à la mort ? Et quelle mort !

Je résolus de m’abandonner au cours des événements. Bien souvent je me suis laissé aller ainsi à l’entraînement de la destinée ; je ne me rappelle pas m’en être mal trouvé.

Nous marchâmes jusqu’au soir. Vers la chute du jour, nous