Page:May - Les Pirates de la Mer Rouge, 1891.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
230
une bataille au désert


gnent les flots du large fleuve, sont une véritable tombe, un immense cimetière, pour mieux dire. Les ruines de Rome et d’Athènes s’illuminent encore d’un rayon de splendeur ; les gigantesques débris des tombeaux égyptiens s’élèvent jusqu’au ciel. Les uns et les autres témoignent de la richesse et de la puissance de peuples disparus ; mais là, entre l’Euphrate et le Tigre, rien ne reste debout que des monceaux informes de pierres sur lesquelles passe le cheval du Bédouin, sans que celui-ci se demande jamais si des rires ou des plaintes ont retenti en ce lieu dans les siècles écoulés.

Où est la tour fameuse que les hommes de Sennaar avaient bâtie en se disant : « Venez ! construisons une ville et une tour dont le sommet touche aux cieux, et rendons notre nom célèbre par toute la terre ? »

Ils ont élevé ces fastueux monuments ; mais leur ville est dévastée. Ils ont voulu se faire un nom, et le nom des peuples qui se sont succédé dans ces murailles, qui ont consacré la gigantesque tour au culte des faux dieux, le nom des dynasties et des monarques qui ont régné, qui se sont gorgés ici de sang et d’or, ces noms ont disparu ; ce n’est qu’à grand’peine que les savants parviennent à en déchiffrer quelques-uns.

On me demandera peut-être comment j’étais parvenu sur les rivages du Tigre, et comment j’avais trouvé le bateau à vapeur qui me portait depuis Chelab.

Voici l’explication. Les Ateïbeh m’avaient accompagné jusqu’au désert d’El Naliman. Me trouvant proche de Mascate, j’eus la curiosité de visiter cette ville ; je m’y rendis seul ; j’admirais ses murailles célèbres, ses rues fortifiées, ses mosquées, son église portugaise ; je vis aussi les fameux gardes du corps de l’Imam, choisis parmi les hommes du Beloutchistan. Enfin j’allai m’asseoir dans un café pour prendre une tasse de kejreh. Cette boisson est tirée de la fève de café ; on y ajoute de la cannelle et des clous de girofle. À peine étais-je entré dans ce lieu, que mon attention fut attirée par un personnage fort original.

Il portait un chapeau à cylindre perché sur une tête absolument chauve. Un nez beaucoup trop envahissant semblait vouloir faire crochet sur des lèvres très minces d’une grande bouche pour rejoindre le menton. Un cou maigre et long sortait d’un faux-col irréprochable ; après quoi venaient un gilet à carreaux gris, une