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une bataille au désert


fermés. Qu’étaient-ce que ces victimes ? pourquoi cette exécution ?

Je me baissai pour ramasser une de ces têtes ; mais à peine l’avais-je touchée, qu’un douloureux et faible soupir s’échappa des lèvres tuméfiées. Certes, je ne suis pas peureux, mais en ce moment une horreur involontaire s’empara de tout mon être ; je reculai d’effroi. Ce fut en faisant un violent effort sur moi-même que je m’approchai de ces tristes objets ; les yeux de la tête que j’avais touchée venaient de se rouvrir et me regardaient d’un œil terne, éteint, affreux.

Ces hommes avaient donc été enterrés vifs, enterrés jusqu’à la tête, dans ce sol humide et marécageux, pour que les moustiques ajoutassent à leur épouvantable supplice !

« Qui êtes-vous ? » balbutiai-je hors de moi.

Et ces trois paires d’yeux me regardèrent à la fois d’un regard trouble, et l’une de ces bouches murmura avec peine :

« O…, Hadi !… »

Hadi ! n’était-ce pas le nom d’un héros vénéré par les Yézidis, les adorateurs du diable ?

« Qui donc vous a traités ainsi ? »

La bouche essaya encore de s’ouvrir ; mais je ne perçus aucun son. Je me hâtai de courir sur le rivage en écartant les roseaux sur mon chemin. Je plongeai mes deux mains dans l’eau, et revins comme un insensé pour rafraîchir les malheureux torturés. Que pouvais-je leur offrir ? Quelques gouttes découlant encore le long de mes doigts ; ils les sucèrent avidement.

Je fis plusieurs fois ce trajet ; mais qu’était-ce que ce soulagement pour leur soif ardente ?

« N’y a-t-il pas une hache ? » murmurai-je enfin dans mon trouble.

Et l’une des victimes fit un signe négatif.

Alors je regagnai l’endroit par où j’avais abordé ; mes Haddedîn m’attendaient sur la rive. Faisant un porte-voix de mes deux mains, je leur criai :

« Une hache, une pique ! Appelez les trois Anglais ! Qu’ils viennent, mais secrètement ! Il faut que Halef reste là-bas. Hâtez-vous ! »

Les deux hommes disparurent rapidement. Je les attendais avec une fébrile impatience ; enfin ils reparurent, portant un ins-