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sur les bords du nil

— Je le veux bien.

— Et tu lui toucheras la main ?

— Oui.

— Une minute seulement… tu entends ? As-tu besoin de voir son visage ?

— Non. elle restera voilée si tu le désires ; mais il faudra qu’elle marche à droite, à gauche, dans sa chambre.

— Pourquoi ?

— Parce que la démarche de la malade en dit beaucoup sur la maladie.

— J’y consens ; je vais aller te la chercher.

— Non, je dois me rendre là où elle demeure.

— Mais pourquoi encore ?

— Parce que le médecin a besoin de savoir si son malade occupe une pièce malsaine, si l’air qu’il respire lui est nuisible…

— Ainsi tu prétends pénétrer dans mon harem[1]?

— Oui.

— Toi ! un mécréant !

— Un chrétien.

— Jamais !

— Qu’elle meure donc ! Adieu ! »

Je fis un pas pour m’éloigner. J’espérais bien être rappelé et je le souhaitais vivement. D’après les symptômes décrits par Abrahim, il était facile de conclure que la maladie de sa femme affectait l’âme plutôt que le corps ; peut-être cette malheureuse, enlevée de force, ne pouvait-elle supporter son sort. J’avais le plus grand désir de lui parler et ne négociais avec tant de patience que pour en arriver là.

« Reste, me cria bientôt le mahométan. Tu entreras dans le harem. »

Je revins vers lui, affectant la plus parfaite indifférence. J’avais vaincu l’obstacle ordinairement infranchissable à tout Européen ; j’étais au fond enchanté de mon aventure. Il fallait que l’amour de l’Égyptien pour cette femme fût bien fort, et je devinais à l’expression de ses traits qu’il ne cédait pas sans éprouver une sourde colère. Je ne pouvais me dissimuler que, en cas d’insuccès dans mon traitement, j’aurais un ennemi implacable qui ne

  1. Harem en arabe signifie proprement : Sanctuaire, lieu inviolable.