Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/245

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Cet hymne, si remarquable par son contraste avec les exagérations lyriques de ceux des Védas et des autres productions connues de ce genre, ne doit pas, ce nous semble, être attribué à quelque scribe laïque ou à l’un de ces nombreux fonctionnaires nourris dans les palais et les bureaux, et qui, depuis les plus anciens temps, pullulaient en Égypte, ou bien à un hiérophante laissant couler sa vie dans l’oisiveté contemplative des sanctuaires ; il me paraît marqué au coin de la poésie populaire : le « voyant » qui l’a trouvé a intimement connu la dureté des corvées et les angoisses de la faim : le « repos des doigts », la « réjouissance du ventre » et la « dent qui broie », ont plus de prix à ses yeux que les litanies inventées par d’extatiques adorateurs pour glorifier d’autres dieux. Le chantre nilotique s’élève à la poésie sans répudier les menues banalités de la vie quotidienne, et même, dans les rares moments où il paye son tribut au pathos inséparable de ce genre de composition, il exprime un fait palpable et réel, mais d’une manière dont la portée véritable pourrait échapper au premier abord : « Dieu caché qui amènes les ténèbres au jour où il te plaît de les amener… qui perpétues la durée des temps » : c’est que, en effet, les saisons égyptiennes se règlent par le Nil ; les temps, les générations ne poursuivent leur course que parce qu’il plaît au Nil de refaire tous les ans son prodigieux travail. Cet hymne est, au fond, tout à fait fétichiste, la déification pure et simple d’un