Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/246

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phénomène naturel très concret, envisagé sous le plus matériel des points de vue : s’il atteint pourtant à des hauteurs que nulle théosophie n’a jamais dépassées, c’est que le fleuve-dieu est d’une nature absolument exceptionnelle, unique. « On ne le taille pas dans la pierre… on ne peut l’attirer dans les sanctuaires… on ne sait le lieu où il est » ; d’autres expressions analogues et rappelant celles qu’inspirait aux prophètes d’Israël un monothéisme des plus raffinés, ne sont, dans la bouche du glorificateur du Nil, que la sobre expression d’une réalité géographique particulière à son pays. L’auteur de cet hymne nous paraît à la fois un grand poète et un scrupuleux et précis enregistreur : on ne saurait exprimer les bienfaits du Nil avec plus d’exactitude et en aussi peu de mots.

Mais, toute brillante qu’elle est, cette médaille a aussi son revers ; pour que le Nil soit « bon », pour qu’il « apporte les provisions délicieuses, faisant pousser l’herbe pour les bestiaux et préparer les sacrifices pour chaque dieu », il faut que la crue atteigne seize coudées, et elle est loin d’y arriver invariablement et régulièrement. Le régime de ces inondations est trop complexe pour ne pas être soumis aux chances du hasard, et si le niveau du débordement reste de trois coudées seulement au-dessous de la crue normale, — « dans le ciel les dieux tombent sur la face, les hommes dépérissent », et on a les « vaches maigres », un de ces Nils désastreux dont parle la Genèse. Sur le massif