Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/255

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Même dès le début, le milieu nilotique n’imposait pas fatalement le despotisme à ses habitants : c’est la solidarité qu’il leur conseillait, et cette solidarité fit la grandeur de la civilisation égyptienne, tandis que rien ne la rendait indispensable dans telle ou telle des nombreuses régions où l’homme isolé, aidé simplement des membres de sa famille, peut suffire à ses besoins sans beaucoup se préoccuper de ses voisins ou de la communauté. Plus fidèlement que le pieux auteur des Origines de l’histoire d’après la Bible, l’anarchiste Élisée Reclus interprète la réalité géographique lorsqu’il s’exprime en ces termes : « Le Nil, propriété commune de la nation, inonde toutes les terres à la fois, et, avant que les géomètres eussent cadastré le sol, il devait les rendre propriété commune ; les canaux d’irrigation, indispensables pour la culture, depuis que l’exploitation du sol a dépassé la zone des terres régulièrement inondées, ne peuvent être creusés et entretenus que par des multitudes de travailleurs, piochant en commun. Il ne s’offre donc que deux alternatives au cultivateur : être tous associés, égaux en droit, ou tous esclaves d’un maître, natif ou étranger[1]. »

Ce fut la seconde alternative, « tous esclaves », qui se réalisa. Les mots d’évolution, de progrès, eussent été vides de sens, si, dès son premier pas sur la scène historique, l’humanité eût déjà su résoudre le problème de la solidarité volontaire, posé

  1. Ouv. cité, t. X.