Page:Mechnikoff - La civilisation et les grands fleuves historiques.djvu/38

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ligente vers une fin qui est notre bien) ce beau mot de progrès. »

M. Bouillier ne semble pas s’apercevoir que cette émondation arbitraire par lui proposée à l’idée de progrès ne saurait être acceptée sans réserve : ce serait renier, je ne dirai pas seulement les progrès philosophiques, mais aussi les acquisitions moins contestables du dernier quart de siècle dans le domaine des sciences exactes. Dans celui de l’histoire, il me semble bien difficile de faire la juste part de l’amélioration des conditions humaines et du naturel même de l’homme, amélioration effectuée librement et en connaissance de cause par des êtres capables de prévoir et d’apprécier jusqu’aux conséquences les plus lointaines de leurs actions. D’après Herbert Spencer, cette part serait bien infime en comparaison des progrès qui résultent, pour ainsi dire fatalement, du concours de circonstances imprévues, du choc et du croisement des intérêts, des passions, des actes inconscients ou inspirés par des tendances égoïstes et mesquines. Le progrès n’aurait dans l’histoire qu’une existence précaire et tout à fait problématique s’il avait pour seul agent et pour seule garantie le bon vouloir de quelques êtres d’élite : la notion même en deviendrait confuse et vaporeuse ; ce serait, de propos délibéré, ouvrir des abîmes entre la nature et l’homme, soi-disant son maître et souverain. L’histoire et la philosophie ne gagneraient rien, du reste, à ce divorce avec les sciences exactes et naturelles.