Page:Mercure de France, t. 77, n° 278, 16 janvier 1909.djvu/165

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REVUE DE LA QUINZAIMK 357 Quoi qu’il en soit, l’éuskara, qu’on essayait récemment, de façon peu convaincante, d ’assimiler aux idiomes de l’Oural ou aux idiomes américains, est, avec son vocabulaire original et sa grammaire très compliquée, une langue à peu près inaccessible pour tout étranger. Et ce n*est pas à nous de le regretter, puisqu’à vrai dire elle n’a jamais été cultivée littérairement : le Leloaren Can1ua%longtemps accepté comme un hymne contemporain d’une victoire des Basques sur Auguste, mais qui ne remonte pas au delà duxvi® siècle, et YAl- labiskarko Canluayregardé par certains (1) comme l’authentique chant commémoratif de la bataille de Roncevaux, mais qui n’est qu’une mystification littéraire due à la collaboration de Garay de Monglave et d’un étudiant basque de Paris, ne sauraient constituer à eux seuls une littérature. Les peuples heureux, dit-on,n’ont pas d’his­ toire. Or, le peuple basque, sain, robuste, bel exemple d ’un parfait équilibre physique et mental, semble ne s’être jam ais soucié de se doter d’une histoire littéraire : son admirable épopée n’a pas fait sur­ gir jusqu’ici un seul poète national, un seul artiste. Et maintenant encore, la muse populaire elle-même vit en ce pays d’une vie misé­ rable. M . José Maria Salaverria, qui vient de publier une excel­ lente étude sur la poésie basque contemporaine, est obligé de nous avouer que l’âme populaire éuskalduna n’a jamais eu pour la poésie cette profonde dévotion qui distingue presque tous les autres peuples européens, et très délicatement il nous expose les raisons de celte négation de la forme et du sentiment littéraires au pays basque: la principale est, selon lui, que le peuple basque a souffert d’une maladie toute spèciale : l’excès de santé ; c il a employé toute son énergie créatrice à se constituer fortement pour résister h toute con­ trainte des hommes et du temps. Au lieu de songer, sentir, divaguer et se fondre dans les rêveries spirituelles de la poésie, il se voua à composer son poème, le poème qui lui convenait : ce poème fut le corps de ses Lois admirables». Et les oersolaris, qui sur les foires ou aux portes des cidreries improvisent quelques strophes d’une enfantine simplicité devant un auditoire de paysans non moins naïfs et aussi peu difficiles, peuvent à peine être considérés comme des poètes, même populaires. Tous les Basques qui se sont senti une vocation littéraire ont écrit en castillan, depuis le génial chancelier de Pierre le Cruel, Pero Lopez de Ayala, chroniqueur et poète satiriste d’une féroce causticité, que l’on retrouve dans son moderne compatriote, l ’un des plus per­ sonnels romanciers de l’Espagne contemporaine, Pio Baroja, dont nous venons de lire avec un vif intérêt l’une des dernières œuvres : (1)Entre autres par Victor Hugo. dont la bonne foi, en ces matières, était tou­ jou rs facile à surprendre. Le poète s’ant inspire de l’apocryphe Cantua au début d’ailleurs admirable d’Aymcrillot.