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lution de protéger Henriette, de l’instruire, de la détacher de ses anciennes connaissances. Cette entreprise lui paraît très-louable, digne d’elle, de ses loisirs, et de l’influence dont elle jouit. Ces projets l’occupent tellement que la soirée lui paraît courte, et que l’instant du souper arrive. Moment critique pour la sensibilité de M. Woodhouse, parce qu’il est convaincu que les soupers sont nuisibles à la santé, il offre de tout en tremblant.

Emma, vive et décidée, a bientôt introduit l’humble et docile Henriette à Hartfield ; bientôt elles ne se quittent plus. Celle-ci qui ne sait pas grand-chose, ne peut parler que de ce qu’elle sait. Le sujet le plus fréquent de ses conversations est la famille Martin, où se trouve un fils aimant sa mère, ses sœurs, et qui donne toutes les preuves d’un excellent naturel. Emma s’est mis dans l’esprit, et l’on ne sait pourquoi, qu’Henriette doit appartenir à des gens puissans ; d’ailleurs elle veut élever Henriette au niveau de sa société, elle cherche donc à l’éloigner de ces fermiers, qui n’ont pu prendre les belles manières ; au cas que sa jeune protégée ait conçu quelque idée favorable pour le jeune Martin, l’élégant vicaire M. Elton, jeune, vif, paraît à Emma l’homme qui doit les faire oublier. Déjà elle projette leur union, arrange sa société et ses promenades. Cette idée lui paraît si simple, qu’elle craint de ne pas avoir été la première à qui elle soit venue.

M. Knigthley n’est rien moins qu’enchanté de la grande intimité d’Emma avec Henriette ; c’est un grand et bel homme, d’un caractère froid et réfléchi ; il a 37 ans, a vu naître Emma, il est son allié, et comme il est franc, il se permet de parler librement et de blâmer quand il le juge convenable. Aussi dit-il un jour à Mme Weston : Henriette est la plus mauvaise compagnie qu’Emma puisse avoir ; elle ne sait rien, et croit qu’Emma sait tout. Mme Weston, en qualité d’ancienne institutrice, défend son élève.

Emma se croit bientôt sûre de réussir dans ses projets ; car M. Elton vient plus fréquemment que jamais à Hartfield. Si elle loue Henriette, ce qui lui arrive sou-