Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

laisserait debout son fondement essentiel, qui lui est commun avec ce qui a été exposé par M. Langevin, et que nous devons maintenant examiner à son tour. Nous avons dit plus haut avec quelle extrême précaution nous entendons nous mouvoir sur ce terrain où, quoi que l’on fasse, on est conduit à raisonner sur le comportement futur de l’intellect. Cependant, cette réserve formulée une fois de plus, nous croyons devoir exposer pourquoi l’éventualité envisagée par M. Langevin nous paraît, en dépit de la haute autorité de son auteur, difficile à agréer, du moins jusqu’à nouvel ordre.

Par quelle voie le concept d’un réel indépendant du moi se crée-t-il en nous ? Il naît, cela est évident, instantanément et intégralement, dans le sens commun. Dès que j’ouvre les yeux le matin, dès que je remue la main, je perçois, et ce terme même implique que mes organes de sens m’apparaissent comme ne jouant qu’un rôle purement passif, comme recevant des impressions venant du dehors, d’un réel préexistant à la sensation. Ce n’est que par une analyse ardue que j’arrive à comprendre que la sensation primitive, la donnée immédiate de la conscience, avait un caractère tout autre, et que le monde des objets constitue une élaboration postérieure. Mais, précisément, la manière rapide et complète dont s’accomplit ici la transformation rend malaisé d’en observer les phases, et mieux vaut donc examiner le processus là où il se poursuit avec plus de lenteur et de manière moins inconsciente, ce qui a lieu, évidemment, dans la science. Et là encore il y aura avantage à examiner tout d’abord, non pas un concept, tel que celui d’atome, dont l’existence, presque dès qu’il fut présenté (chez Démocrite et chez Épicure), parut immédiatement évidente en quelque sorte, mais par une notion où cette existence ne fut jamais considérée comme parfaitement avérée, où l’évolution menant du concept à la chose, ne fut, à aucun moment, pour ainsi dire achevée.

Nous choisissons le concept de force, concept sur lequel notre attention a été particulièrement attirée, dans cet ordre d’idées, par une lettre de M. Lichtenstein.

Nous avons exposé autrefois (I. R., p. 70 et suiv., 514 et suiv.) comment, quand les travaux de Newton avaient donné naissance à la supposition d’une action à distance, la force avait reçu droit de cité en physique, et à quelles résistances cependant, en dépit