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des conquêtes brillantes de la science newtonienne, cette manière de voir s’était heurtée. Nous avons dit aussi la raison de cet accueil et avons constaté que de nos jours, tout en ayant fréquemment recours (surtout dans les exposés didactiques de mécanique) à cette notion de force, les physiciens cherchaient cependant à l’éliminer le plus que faire se pouvait. C’est là un côté de la question dont nous ferons abstraction ici, examinant plutôt l’aspect de la notion chez ceux qui croyaient ou qui croient encore à son objectivité, ou qui du moins sont enclins à la traiter en véritable chose.

Il n’est pas douteux, tout d’abord, que le concept se rattache étroitement à une sensation que nous éprouvons tous de manière immédiate, à savoir à la sensation d’effort. Leibniz, dans des passages fréquemment cités (nous les avons nous-même reproduits, I. R., p. 520), a fait ressortir ce rapport. Il est vrai, sans doute, que c’est se méprendre sur le sens de ses déclarations que d’en conclure qu’il avait, à un moment donné de sa carrière, adopté la conception d’une action à distance ; tout au contraire, il n’a jamais cessé de protester contre une telle hypothèse, et il concevait la force uniquement comme agissant par le contact des corps. Mais il n’en a pas moins reconnu que le sentiment de l’effort était susceptible de faire naître en nous l’idée de quelque chose qui était différent de la matière et du mouvement et qui, néanmoins, existerait autant que ces notions.

Comparons maintenant cette sensation d’effort à la notion à laquelle elle a donné naissance. Qu’est-ce qui distingue l’une de l’autre — les considérations mêmes de subjectivité et d’objectivité, dont nous cherchons précisément à reconnaître le fondement, mises à part ? Il ne peut, semble-t-il, y avoir de doute à ce sujet : le trait distinctif, c’est la permanence absolue de la force, à l’égard de la variation incessante de l’effort. Du soleil, pour les newtoniens, émane une attraction, et une attraction constante, qu’il y ait ou non dans l’espace des planètes sur lesquelles elle s’exerce. C’est une sorte de flux perpétuel. On peut évidemment prétendre que la notion, ainsi comprise, est étrange, et c’est là une des raisons que ceux qui se refusaient à adopter le point de vue newtonien n’ont cessé de faire valoir. Mais qu’elle fut ainsi conçue par les partisans de l’action à distance, cela est certain. Or, en ce qui concerne l’effort, il est tout aussi évident que non seulement il varie, mais qu’en outre cette particularité fait partie de l’essence