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tance qui trouble le savant, qui lui fait croire à un ébranlement profond des assises de son savoir, alors qu’en vérité la difficulté à laquelle il se heurte était inhérente à la conception mécaniste même de l’univers physique. Nous verrons d’ailleurs tout à l’heure que, considérée sous un aspect un peu différent, cette attitude du savant se comprend mieux encore.

Reste cependant à examiner — à supposer, bien entendu, qu’aucune découverte ultérieure ne vienne alléger les difficultés qui tourmentent le physicien des quanta à l’heure actuelle — ce que deviendrait dans ce cas le déterminisme scientifique. Car, nous l’avons fait ressortir au début de cet exposé, c’est pour ne pas permettre qu’il soit atteint que M. Langevin a précisément conçu cette éventualité d’un réel non-individuel. Celle-ci écartée, il semble bien que l’on soit acculé à proclamer que le fin fond du réel, à savoir l’ensemble du sous-atomique, est constitué par des phénomènes qui, ni dans l’espace ni dans le temps, ne peuvent être prévus en tous leurs détails.

Il n’est pas douteux qu’une telle manière de concevoir le cours des choses choque la conception que l’homme de science a accoutumé de s’en former. Mais est-elle réellement destructive de l’essence même du savoir scientifique, ainsi qu’on l’affirme bien souvent, tantôt explicitement, et plus souvent encore de manière implicite ? C’est ce que nous allons rechercher à présent.

D’où vient la conviction — qui est celle, nous le répétons, que tout savant digne de ce nom formule implicitement — que les phénomènes sont gouvernés par des lois imprescriptibles ? Elle ne tire point son origine, contrairement à ce que certains ont prétendu, de l’expérience. Cela ressort de cette constatation primordiale que, dès le début de la vie, nous avons agi. Car toute action implique évidemment une intention et, par conséquent, prévision du résultat. Or, l’action est indispensable à tout organisme animal, elle est la condition même de sa survie. Il en est donc de même de la prévision : « Devine ou tu seras dévoré », a dit Fouillée. Ainsi, il n’est pas étonnant que la croyance à la prévisibilité et, ce qui s’en suit, à la détermination complète du cours des événements, à la domination de la légalité (comme nous l’avons appelée) soit fortement ancrée en nous. C’est à son aide que nous abordons l’étude de la nature. Cette étude semble — ou du moins semblait jusqu’il y a peu d’années — pleinement confirmer ladite croyance ; là même