Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/28

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où l’humanité primitive ne voyait que des phénomènes échappant par essence à toute prévision, puisqu’on les supposait dus à des actes de volition d’êtres supérieurs, l’homme moderne reconnaît des conséquences de lois naturelles. Ainsi la légalité, en étendant constamment son domaine, s’affermit encore grandement.

Peut-on dire cependant qu’il y ait là une vraie preuve, que la science ait réellement démontré que tout phénomène est gouverné par une loi ? Le nombre des phénomènes étudiés par la science est nécessairement fini, et celui de l’univers entier, par essence, illimité ; toute conclusion générale fondée sur les phénomènes connus et embrassant la totalité de la nature est donc, d’avance, frappée de caducité (I. R., p. 6). Mais croire scientifiquement établi le règne absolu de la légalité, ne serait-ce pas en outre oublier que nous y avions cru avant la science proprement dite, que celle-ci n’a pu être édifiée que parce que nous y avions cru ? La vérité est, tout au contraire, que la légalité est bien une supposition nécessaire, indispensable à la science, mais à celle-ci seulement : en observant un phénomène nous devons, tout d’abord, supposer qu’il obéit strictement à une loi. Cela prouve-t-il qu’il n’y ait que de tels phénomènes dans le réel ? En aucune façon, et pour raffermir notre conviction, nous n’avons qu’à nous adresser aux philosophes, ou du moins à ceux d’entre eux qui ont admis l’existence d’un libre arbitre. On ne pourrait même pas faire valoir que ces penseurs avaient adopté de telles opinions parce qu’ils n’avaient pas toujours tenu compte, autant qu’il eût fallu, de la valeur supérieure de l’acquis scientifique. Ce reproche, juste peut-être à l’égard de certains, ne le serait certainement point, pour ne citer que cet exemple unique, à l’égard de Renouvier. Renouvier occupe en effet, tout au contraire, une place éminente dans la belle chaîne des épistémologues (comme nous oserions les appeler d’un terme qui, il est vrai, n’a été créé que de nos jours), qui, en France ont su maintenir efficacement la liaison entre le savoir philosophique et le savoir scientifique, si fâcheusement rompue ailleurs. Or, Renouvier non seulement admet le libre arbitre, mais en fait une des pierres angulaires de son système. Un acte de libre arbitre constitue, pour lui, un « commencement absolu ». Il entraîne, comme tel, une suite infinie de conséquences strictement déterminées mais il n’est pas déterminé lui-même, et si l’on remonte dans la chaîne des causes, elle s’arrêtera là. Où voit-on qu’une