Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

telle manière de voir serait anti-scientifique, pourrait être réfutée par la science ? La science, jusqu’à l’avènement de la physique quantique, ne s’occupe que de ce qui est déterminé. Ce qui ne l’est pas restant, par convention préalable, en dehors de son giron, il est évident que, quels que soient le nombre et la portée des constatations auxquelles elle aboutira, elle ne parviendra jamais à entamer la conviction de ceux qui jugent que l’acte de volonté est libre par essence.

La question du libre arbitre, tel que le concevait par exemple Renouvier, est-elle en jeu quand on pose l’existence d’un indéterminisme quantique ? M. Bohr répond résolument par l’affirmative. Pour lui, la mécanique quantique constitue un domaine intermédiaire entre celui « où est applicable l’idéalisation causale et spatiotemporelle, et le domaine de la biologie, caractérisé par le mode de raisonnement téléologique ». Il fait d’ailleurs remarquer, à ce propos, que l’activité biologique peut avoir pour point de départ des phénomènes infimes ; ainsi « quelques photons suffisent à provoquer une réaction visuelle[1] ».

Afin de bien saisir la portée de cette dernière remarque, il convient de se rendre compte tout d’abord de la difficulté fondamentale à laquelle se heurte la conception. Quand nous parlons du libre arbitre, ce à quoi nous pensons, ce sont très certainement des phénomènes de la vie commune. Or, ceux-ci appartiennent incontestablement et sans exception à l’ordre des phénomènes molaires. Ceux dont traite le physicien des quanta sont au contraire atomiques et sous-atomiques. C’est là, et là uniquement, que se manifeste le « facteur d’incertitude ». En effet, à mesure que, de ces phénomènes infiniment délicats, nous avançons vers d’autres moins ténus, les lois de la statistique entrent en jeu de manière de plus en plus efficace, et bien avant que nous ne parvenions à ces grossières constatations qui forment la base de la conception du sens commun, la certitude et la prévisibilité sont devenues quasi absolues. Le fait que cette certitude et cette prévisibilité n’aient néanmoins pour fondement qu’une statistique n’est même pas, on le sait, une innovation datant de l’introduction de la physique quantique. Il était en effet présupposé par la thermodynamique. Selon la remarque bien connue de M. Perrin, le maçon

  1. L. c., p. 20, 110.