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mais c’est une preuve de plus de la justesse de ses principes ; car nos idées générales ne naissant que des idées particulières, les plus générales de toutes ne pouvaient se développer que les dernières. Lorsqu’Aristote établissait l’horreur du vide, il se formait une idée générale, telle que la donnaient les expériences d’alors. Quand on eut observé que les pompes ne soulevaient l’eau qu’à 52 pieds, et le mercure qu’à 28 pouces, il fallut bien en chercher une autre. On se borna alors à reconnaître la pesanteur de l’air. De là au principe de la pesanteur universelle, il y a encore loin sans doute. Cependant l’on y est arrivé en suivant le même chemin. Aristote dut être plus heureux dans les matières plus rapprochées, où il n’est pas nécessaire de s’élever à de si hautes abstractions ; et en effet, sa Poétique et sa Rhétorique contiennent sur tous les genres d’écrire les règles les plus saines ; sa Morale offre une analyse délicate de tous les penchants du cœur, et une distinction fine de toutes les vertus et de tous les vices ; dans sa Logique, il développe, avec une sagacité infinie, la marche et les ressorts du raisonnement ; il lui trace la route propre à l’empêcher de s’égarer, et poursuit dans tous leurs détours les Sophismes les plus spécieux. Mais de toutes les sciences, celle qui doit le plus à Aristote, c’est l’histoire naturelle des animaux. Non-seulement il en a connu un grand nombre d’espèces, mais il les a étudiés et décrits d’après un plan vaste et lumineux, dont peut-être aucun de ses successeurs n’a approché, rangeant les faits, non point selon les espèces, mais selon les organes et les fonctions, seul moyen d’établir des résultats comparatifs : aussi peut-on dire qu’il est non-seulement le plus ancien auteur d’anatomie comparée dont nous possédions les écrits, mais encore que c’est un de ceux qui ont traité avec le plus de génie cette branche de l’histoire naturelle, et celui qui mérite le mieux d’être pris pour modèle. Les principales divisions que les naturalistes suivent encore dans le règne animal sont dues à Aristote, et il en avait déjà indique plusieurs, auxquelles on est revenu dans ces derniers temps ; après s’en être écarté mal à propos. Si l’on examine le fondement de ces grands travaux, l’on verra qu’ils s’appuient tous sur la même méthode, laquelle dérive elle-même de la théorie sur l’origine des idées générales. Partout Aristote observe les faits avec attention ; il les compare avec finesse, et cherche à s’élever vers ce qu’ils ont de commun ; ainsi, sa Poétique est fondée sur les ouvrages d’Homère et des grands tragiques ; sa Politique, sur les constitutions d’un grand nombre de gouvernement grecs et barbares, et son Histoire naturelle, sur cette immensité d’observations que lui procurèrent les généreux secours d’Alexandre. Son style est accommodé à sa méthode ; simple, précis, sans recherche et sans chaleur, il semble en tout l’opposé de celui de Platon ; mais aussi a-t-il le mérite d’être généralement clair, excepté en quelques endroits, où ses idées elles-mêmes ne l’étaient pas. Théophraste, qui succéda à Aristote dans la chaire du lycée, employa la même méthode et en retira les mêmes avantages dans ses ouvrages classiques sur les plantes et sur les caractères. Il s’en faut beaucoup que nous ayons tous les ouvrages d’Aristote ; nous en avons perdu de très-importants, et entre autres le recueil qu’il avait fait des institutions politiques de cent cinquante-huit États démocratiques, aristocratiques, oligarchiques et tyranniques. Il nous en reste cependant un grand nombre. On en trouvera le détail ci-après. Ils ont été imprimés plusieurs fois conjointement ; la première édition, toute grecque, a été donnée à Venise par Alde Manuce, de 1495 à 1498, en 5 vol. in-fol. Erasme en donna une à Bâle, en 1532, réimprimée plusieurs fois dans la même ville. On recherche aussi celle que Camotius a donnée à Venise, chez Paul Manuce, 1551-53, in-8o, 6 vol. : le 6e contient les ouvrages de Théophraste. Ces éditions n’ont d’autre mérite que leur rareté. Mais la meilleure de toutes jusqu’à ces derniers temps est celle que Fréd. Sylburg a donnée, in-4o, à Francfort, chez les héritiers d’André Wechel, et dont voici le détail : Organon, 1585; — Rhetorica et Poetica, 1584 ; — Ethica ad Nicomachum, 1584; — Ethica magna, etc., 1584 ; — Politca et OEconomica, 1587 ; — Animalium Historia, 1587 ; — de Animalium Partibus, etc., 1585; — Physicæ Auscultationis lib. 8, et alia opera, 1596 ; — de Cælo lib. 4, sans titre ; — de Generatione et Conceptione, sans titre ; — de Meteoris lib. 4, sans titre ; — de Mundo, sans titre ; — de Anima, sans titre ; — Parva Naluralia, sans titre ; — Varia Opuscula, 1587 ; — Aristotelis, Alexandris et Cassis Problemata, 1585 ; — Aristolelis et Theophrasti Metaphysica, 1585. Cette édition, toute grecque, se trouve rarement complète ; elle est très-recherchée par les savants. On estime aussi les suivantes : Aristotelis operum nova editio gr.-lat., ex bibliotheca Is. Casauboni, Genève, 1590, 1596, 1605, in-fol., 2 vol.[1]. Ces éditions, qui portent tantôt le titre de Genève, tantôt celui de Lyon, tantôt celui de Coloniæ Allobrogum (Cologny, petite ville dans le voisinage de Genève), sont également bonnes. — Aristotelis Opera gr.-lat., cura Gul.[2]

    la plupart des ouvrages qui ont le plus efficacement contribué, de nos jours, a réhabiliter Aristote et à répandre la connaissance de ses écrits. Citons en première ligne, parmi ces travaux, l’Essai sur la métaphysique d’Aristote, par M. Félix Ravaisson, couronné par l’Institut, 1837, 2 vol. in-8o. Le 1er volume, le seul qui ait paru, contient l’exposition de la Métaphysique disposée dans un ordre nouveau ; dans la pensée du critique, ce remaniement était nécessaire pour rendre à l’œuvre d’Aristote sa forme primitive ; dans le 2e volume, qui doit paraître prochainement, M. Ravaisson dira l’influence que la métaphysique péripatéticienne a exercée sur l’esprit humain, les fortunes diverses qu’elle a subies pendant plus de vingt siècles ; il appréciera la valeur de cette grande et célèbre doctrine, et déterminera le rôle qu’elle est appelée à jouer encore dans la philosophie. Mémoire sur l’ordre des livres de la Politique d’Aristote, lu à l’Académie des sciences morales et politiques, en 1835, par M. Barthélémy St.-Hilaire. De la Logique d’Aristote, par le même ; ouvrage couronné par l’Académie, Paris, 1838, 2 vol. in-8o. Théorie des premiers principes selon Aristote, par M. E. Vacherot, 1836, in-8o. Aristote considéré comme historien de la philosophie, par M. A. Jacques, 1857, in-8o. Citons encore l’excellente introduction placée par MM. Pierron et Zovorl en tête de leur traduction de la Métaphysique. C. W-r.

  1. Les corrections de Casaubon sont sans importance ; il s’est, a peu de chose près, contenté de reproduire le texte de Sylburg. Juste Lipse assure que cette édition a été faite au pas de course : Cursim egisse Casaubonum ; et celui-ci en convient. C. W-r.
  2. C’est la plus répandue des éditions d’Aristotr. Duval reproduit fidèlement Casaubon, comme celui-ci avait reproduit Sylburg.