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secondé par le consul de Suède Piranesi, le fit évader. Tandis que déguisé il errait en Allemagne, le duc de Serra-Capriola, ambassadeur napolitain, lui rendit le double service de retirer ses correspondances d’Autriche et de Prusse, et de lui obtenir un asile en Russie, où il vécut, sous un nom supposé, dans la ville de Kalouga, d’une pension que lui accorda l’impératrice Catherine. Le duc de Sudermanie, furieux d’avoir vu échapper son ennemi, avec les papiers sur lesquels il espérait établir une accusation de crime de lèse-majesté, fit fabriquer, en 1795, de fausses correspondances[1]. D’Armfeldt fut condamné à mort par contumace et mis hors la loi. On confisqua ses biens, et nombre de personnes furent les victimes de cette odieuse vengeance, entre autres ses amis Munk et Rehausen, obligés de se réfugier, celui-ci en Hollande, celui-là à Massa ; Ehermstrom, condamné au dernier supplice, ne reçut que sur l’échafaud sa commutation de peine, et la comtesse de Rudenskiow, également atteinte par un arrêt infamant, parvint avec peine à s’échapper. Quoique exilé, d’Armfeldt, qui conservait en Suède beaucoup d’amis, et qui en avait dans tout le corps diplomatique de l’Europe, n’en faisait pas moins surveiller le duc de Sudermanie, qui, forcé d’ajourner ses projets l’usurpation, rappela, dans la dernière année de sa régence, les amis fugitifs du feu roi. Mais d’Armfeldt, à qui l’on fit de favorables et peut-être perfides propositions, ne voulut rentrer dans sa patrie qu’a la majorité de Gustave-Adolphe, qui lui rendit ses dignités, ses biens, et le combla de nouvelles faveurs. Nommé plus tard ministre à Vienne, il resta quelque temps à Paris, observateur attentif de ce qui s’y passait. Sa présence ayant inquiété le premier consul, on lui donna le conseil de partir. « Quand cela me conviendra, dit-il à l’agent de Fouché, à moins qu’on n’emploie la force, et je pourrais juger alors de l’aménité française et de la liberté républicaine. » Rendu à Vienne, il y acquit l’estime de la famille impériale ; mais François II s’étant déclaré empereur héréditaire (11 août 1804), et la Suède ne lui reconnaissant pas ce titre, le comte de Ladron, ambassadeur autrichien à Stockholm, fut rappelé, et le baron d’Armfeldt se vit oblige de quitter Vienne, le 2 janvier 1805, sous prétexte de sa nomination au gouvernement général de Finlande ; l’empereur et l’impératrice lui donnèrent alors leurs portraits enrichis de diamants. Dans cette même année 1805, il commandait la gauche de l’armée suédoise en Poméramie. Vivement affligé des désastres de l’Autriche, il sollicita la permission de se rendre à l’armée autrichienne, et d’y servir tant que sa patrie n’aurait pas besoin de lui. De retour d’un voyage que la rapidité des mouvements militaires rendit inutile, il battit un corps français à Anklam (1806) ; favorisa par une marche hardie la valeureuse entreprise, de Schill ; défendit Stralsund, où il fut blessé, et devint général d’infanterie et commandeur de l’ordre de St-Jean de Jérusalem. Il servit jusqu’à cette paix de courte durée, qui fut rompue, sans déclaration de guerre, par l’invasion de la Finlande. Armfeldt fut alors (1808) mis a la tête de l’armée de Norwége, qui ne consistait qu’en 5 ou 4,000 hommes dénués de tout. Ses opérations s’en ressentirent ; il se plaignit : on l’exila, et il fut remplace par l’un des chefs de la conjuration contre le roi, qui, privé par sa faute du seul homme capable de le défendre, fut contraint de signer son abdication le 29 mars 1809, jour anniversaire de la mort de Gustave III. Monté enfin sur le trône le 6 juin 1800, Charles XIII rendit au baron d’Armfeldt le commandement de l’armée de l’ouest, le nomma grand du royaume et président du département militaire, ce qu’il n’accepta que comme un solennel aveu de la fausseté des accusations précédemment portées contre lui. Mais il était gentilhomme finlandais ; sa province avait passe sous la domination russe, et il se retira en 1810 dans son superbe château d’Amine, situé à la porte de la capitale de Finlande. Il se rendit la même année à St-Pétersbourg, où il fut très-mal accueilli, car il avait repoussé avec indignation, en 1808, la proposition que lui avait faite le ministre Alopeñs, de trahir son pays en faveur de la Russie, et fait même imprimer les lettres du comte Romanzoff et ses réponses. Ce ministre, devenu grand chancelier, ne le lui pardonnait point ; mais l’empereur avait besoin de s’attacher un homme dont le crédit était immense dans une province nouvellement acquise ; il rappela donc d’Armfeldt en 1811, le nomma premier comte de Finlande et président, avec titre de ministre du comité chargé des affaires de cette province ; ce poste le mit à même de veiller aux intérêts de son pays, qui, grâce à lui, conserva les privilèges, et auquel il obtint la réunion de l’ancienne Finlande, dont, sur son rapport, les paysans indûment faits serfs furent affranchis. Ennemi constant du souverain qui gouvernait alors la France, il seconda de tout son zèle un projet de guerre déjà secrètement arrêté, et dont la favorable issue devait, selon lui, amener la restauration de la maison de Bourbon. Cependant, toujours en butte aux accusations les plus absurdes, on lui suppose alors le dessein de faire assassiner Bernadotte : il s’en défendit avec indignation, et ses ennemis l’accusèrent d’être la créature de Napoléon que, plus que tout autre, il cherchait a renverser, car il était devenu chef d’une

  1. Une anecdote peu connue, mais dont nous garantissons l’exactitude, fera connaître l’acharnement avec lequel le duc de Sudermanie poursuivait alors d’Armfeldt. Ce général, qui s’occupait d’écrire l’histoire de Gustave III, avait remis, pour y travailler, différents papiers à l’abbé d’Héral, émigré qui habitait obscurément, dans le mois de février 1791, à Dusseldorf, un petit logement où il fut très-étonné de voir entrer un jour brusquement un officier suédois nommé Piper, qui lui signifia de la part du prince régent l’ordre de remettre à l’instant tous les papiers qu’il tenait du comte d’Armfetdt et de le suivre à Altona. Cette sommation, faite par un étranger dans un pays tout-à-fait indépendant de la Suède, était fort ridicule, et l’abbé pouvait s’en moquer ; cependant elle le déconcerta au point qu’il était près de suivre l’officier, lorsque le chevalier d’Héral, étant survenu, éloigna pour un instant son frère, sous prétexte d’aller chercher les papiers ; et se trouvant seul avec l’audacieux Suédois, lui fit comprendre tout le ridicule et le danger de sa démarche. Les magistrats de Dusseldorff, ayant été prévenus, donnèrent à l’abbé toute espèce de sécurité ; mais il était si timide et si faible qu’il consentit a remettre quelques papiers d’ailleurs peu importants, s’estimant fort heureux de ne pas être forcé de partir pour Altona.