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diplomatie occulte, par laquelle l’empereur Alexandre communiquait avec les ennemis déclarés et les alliés mécontents du dominateur de l’empire français. Initié à tous les projets hostiles, mais encore ignorés de tout le monde, qu’avait formés l’empereur Alexandre, il fut chargé de la visite des magasins militaires ; suivit son nouveau souverain dans la campagne de 1812, l’accompagna a la conférence que ce monarque eut à Abo avec Bernadotte ; et, après avoir puissamment contribué à l’importante paix de la Turquie, il invita Alexandre à l’émancipation de la Pologne, à la générosité envers la France, au rétablissement de Louis XVIII ; enfin a des idées protectrices pour le souverain pontife romain, quoique lui-même il ne fût point catholique. Il mourut presque subitement dans sa maison de campagne, à Tzarco-Sale, le 19 août 1814, au moment où ses plans favoris venaient de se réaliser. Le comte d’Armfeldt était d’une taille élevée, d’une figure et d’une tournure imposantes ; il parlait et écrivait avec facilité presque toutes les langues de l’Europe ; il avait beaucoup vu, il savait beaucoup et racontait à merveille. Ses passions étaient ardentes, ses sentiments nobles et élevés ; accoutumé à vivre parmi les grands et les rois, il était loin de dédaigner les hommes d’un ordre inférieur, et les talents avaient sur lui plus d’empire que les plus hautes dignités. Indulgent pour les erreurs ou les faiblesses, sa tolérance ne s’arrêtait qu’à l’aspect de la bassesse ou du crime ; et il ne pouvait être le courtisan d’un prince qu’autant que ce prince deviendrait et demeurerait son ami. A-l-e.


ARMINIUS. En traitant de cet illustre chef des Chérusques, sous le nom que les anciens lui donnent, et non sous celui de Hermann, son véritable nom, nous consultons la commodité de la plus grande partie de nos lecteurs, qui connaissent beaucoup mieux l’Arminius de Tacite que le Hermann de Klopstock. Nous n’avons malheureusement que bien peu de détails sur la vie du plus grand des Germains, né l’an 18 avant J.-C. : tout ce que nous en savons se réduit a quelques mots du récit que les anciens nous ont laissé de la défaite de Varus. Les victoires de Drusus avaient agrandi l’empire romain de tous les pays d’Allemagne compris entre le Rhin, l’Elbe et la Saale. Pour maintenir sous leur obéissance les belliqueux habitants de ces contrées, les Romains prirent toutes les mesures que la prudence et le caractère de leurs nouveaux sujets pouvaient leur dicter. Quelques-unes des peuplades les plus puissantes, comme les Sicambres, dont l’énergie avait été si funeste à Lollius, furent transplantées sur les bords du Rhin et jusque dans l’intérieur des Gaules, pendant qu’on tachait de s’assurer de la fidélité des autres, en prenant des otages, et en donnant aux enfants de leurs principaux chefs une éducation toute romaine. Arminius, qui était fils de Sigimer (Sigmer ou Siegmar signifiait, dans l’ancien langage teutonique, illustre par la victoire), le premier d’entre les Chérusques, fut élevé à Rome, décoré du titre de chevalier, et employé dans les armées d’Auguste. Cependant, ni les faveurs de ce prince, ni les prestiges d’une civilisation qui était bien propre à fasciner les yeux d’un barbare, ne purent changer son âme germanique. Il resta fidèle aux souvenirs et aux dieux de sa patrie. Au lieu de lui forger des chaînes, Rome lui fournit des armes, et, formé à l’école des Romains, il apprit à vaincre Rome dans Rome. Il semble qu’on le voie à la cour, à la ville, dans les camps, n’observer que ce qui peut l’aider dans l’exécution de son grand projet, ne méditer que la délivrance de sa patrie. Malheureusement pour sa gloire, qui devait être plus grande que pure, il désespère du succès d’une lutte engagée ouvertement ; mais, si la puissance colossale de l’empire le força de recourir à une ruse indigne des motifs qui l’animaient et des résultats qu’il obtint, quelques circonstances le favorisèrent singulièrement. Le proconsul Quintilius Varus, qui, suivant l’expression d’un écrivain de son temps, « était entré pauvre dans la Syrie riche, et était sorti riche de la Syrie pauvre, » commandait la plus belle des armées romaines, destinée à maintenir dans la soumission les nouvelles acquisitions d’outre Rhin. Les historiens déplorent son imprudence, et vantent la douceur de ses mœurs, qui, selon toute probabilité, n’était autre chose qu’une funeste indulgence pour ses complices, et pour tous les citoyens de Rome qu’il avait intérêt à obliger. L’insolence et les exactions de ses agents exaspérèrent des peuples tiers et pauvres ; mais ce qui mit le comble a l’irritation fut le projet insensé de jeter les tribus germaniques dans le moule des institutions romaines[1] ; écueil que la sagesse de l’ancien sénat avait toujours su éviter, en laissant aux peuples vaincus leurs lois et leurs usages, et que le désastre de Varus signala vainement aux héritiers de la puissance et de l’ambition des Césars. Varus traînait à sa suite une multitude de légistes, et se croyait lui-même plutôt appelé à remplir les fonctions d’un proconsul, et à exercer la juridiction d’un préteur, au sein d’une province vieillie dans des habitudes de soumission à l’influence romaine, qu’a surveiller des peuplades aguerries et jalouses d’une liberté, naguère leur suprême jouissance, et toujours leur idole unique. Arminius jugea le moment favorable à l’exécution de ses desseins, et, l’énergie nationale secondant son activité, il parvint à y associer les chefs de presque toutes les tribus germaniques domiciliées entre l’Elbe et le Rhin. L’insuffisance des renseignements que nous ont transmis les historiens de l’antiquité sur cette confédération à jamais mémorable, et la confusion qui règne dans tout ce qu’ils nous disent de la Germanie, ne nous permettent pas de juger toute l’étendue du plan d’Arminius. À cette même époque (l’an 9 de notre ère), une insurrection générale éclata dans la Pannonie et sur les limites de la Dalmatie. Si nous pouvions supposer quelque liaison entre tous ces mouvements de peuples aussi éloignés, s’il était permis de croire que ces attaques simultanées

  1. Les expressions de Don Cassius sont aussi positives qu’énergiques : « Il se hâta de les métamorphoser en masse, et sur-le-champ. » Liv. 56, ch. 18, p. 819, éd. Reim.