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des autorités. Toutefois Arnault trouva des ressources et des consolations dans l’étude des lettres et dans l’accueil que lui firent les habitants les plus illustres de la Belgique. La plus glande partie des articles de morale, de littérature et de philosophie insérés dans le journal belge le Libéral sont de lui. On y reconnaît son esprit caustique et mordant ; mais il crut devoir les désavouer, lorsqu’un libraire de Paris les réimprima en 1823 sous le titre de Loisirs d’un banni, 2 vol. in-8o. Malgré sa prescription, il eut le crédit de faire recevoir au Théâtre-Français une pièce nouvelle, Germanicus, tragédie en 5 actes, dont la première représentation eut lieu le 22 mars 1817, au milieu du conflit des passions politiques qui agitaient la France. Applaudie à outrance par les amis de l’auteur ou plutôt par les bonapartistes et les libéraux, qui avant l’ouverture des bureaux avaient envahi les galeries, l’orchestre et le parterre, la pièce ne put être écoutée que par un petit nombre de spectateurs impartiaux. Après la dernière scène on demanda l’auteur : quelques sifflets qui se firent entendre devinrent le signal d’un tumulte affreux dans le parterre ; il y eut véritablement combat, et le nom de Germanicus, donné à d’énormes gourdins qui furent alors un instant de mode, prouve que cette petite guerre ne laissa pas d’être sérieuse. Il fallut que la force armée vint rétablir l’ordre ; l’auteur ne fut pas nommé. Au surplus, dans ce conflit son œuvre ne fut pas jugée, et l’autorité prit le parti d’en empêcher une seconde représentation. Les journaux rendirent compte de la pièce selon leur couleur. Arnault dut plus que tout autre déplorer cette scène ; car si Germanicus eut réussi sans scandale, l’intention du ministre était de rappeler l’auteur. Il se hâta de faire imprimer sa tragédie, avec une lettre adressée a sa patrie, dans laquelle il se plaignait de l’acharnement que ses ennemis avaient montré contre sa pièce, malgré les soins du gouvernement qui avait su respecter les droits dans un citoyen prescrit. Désormais Germanicus fut apprécié, et l’on put se convaincre que si la critique, qu’entre autres censeurs passionnés, Martainville en avait faite dans la Quotidienne, n’était pas entièrement injuste, elle était du moins trop personnelle, et par conséquent peu généreuse envers un auteur proscrit. Un des fils de celui-ci (M. Étienne-Pierre Arnault, jeune officier alors en demi-solde) crut devoir venger son père offensé, et Martainville, appelé en duel, paya, selon l’expression d’un biographe, « par une blessure légère, la légère intempérance de sa langue. » Jouée pour la seconde fois en 1825 au Théâtre-Français, la tragédie de Germanicus n’a eu qu’un succès médiocre. Les gens de goût y ont reconnu de belles scènes, des tirades bien versifiées quoiqu’un peu sentencieuses, d’heureuses imitations de Tacite, mais une action vide et mal conduite, et souvent un style rude et incorrect. Cependant Arnault avait conservé de nombreux amis à l’Académie et parmi les gens de lettres. Au commencement de 1818, on vit un des rédacteurs les plus spirituels de la Quotidienne, M. Merle, publier une lettre dans laquelle où il réclamait contre la prescription d’Arnault, de Mellinet et de Bory de St-Vincent. » Il les représentait comme les victimes de la haine de Fouché. On sait en effet qu’Arnault avait encouru l’animadversion de ce ministre, par cette franchise brusque qui ne ménageait personne, entre autres par un mot sanglant qui allait trop bien à son adresse. Fouché dormait à moitié après son dîner ; Arnault entra chez lui et le réveilla. « Vous venez bien à propos, dit le ministre, je rêvais que vous étiez sur le point de mourir ou de la corde ou d’une galanterie. — Le genre de mort serait en effet décidé, répliqua le poëte, si on épousait votre maîtresse ou vos principes. » Vers le même temps, sur la proposition de Lanjuinais, l’Académie souscrivit à l’édition des œuvres d’Arnault qui se publiait en Belgique. Ce poëte remercia ses anciens collègues de cette preuve éclatante d’intérêt dans une lettre pleine de dignité (1er février 1818). « Messieurs, disait-il, l’honneur seul peut rompre les liens qu’il protége : je savais bien que les nôtres étaient indissolubles ; aussi la preuve que vous m’en donnez me touche-t-elle plus qu’elle ne me surprend… Dans un malheur que le temps ne fait qu’accroître, je ne pouvais pas recevoir de plus douce, de plus noble consolation. Tout mon être en a été ému. Vous avez sur moi bien plus d’empire que mes ennemis : si puissants qu’ils soient, ils ne m’ont jamais arraché une larme. » La publication de ses œuvres fournit a tous les journaux l’occasion d’en faire l’objet d’un examen spécial ; les moins bien intentionnés pour Arnault s’abstinrent du moins d’attaquer son caractère, d’autres en firent l’éloge le plus éclatant. « M. Arnault, disait M. Tissot dans la Minerve, avait chéri la famille des Bourbons et faisait des vœux pour leur bonheur jusque dans une autre cour ; et depuis d’autres bienfaits l’ont trouvé fidèle à la reconnaissance ; enfin il ne désavoue point sa vie pour se racheter de l’exil et du malheur… Dans le cours de la révolution jamais on n’entendit la voix de M. Arnault s’élever contre un citoyen. Jamais son opinion ne le rendit intolérant envers ceux d’une opinion contraire ; toujours modéré, il ne fut ni apôtre ni persécuteur… Ennemi découvert, mais ami fidèle, sa vengeance s’exhalait dans une épigramme échappée à sa verve satirique, son attachement éclatait à toutes les heures et ne se démentait jamais… Ajoutez à tant de qualités, à une vie si exempte de reproches sérieux, un talent qui avait donné de hautes espérances, et souvent éclaté par des succès ; voila sans doute assez d’éléments pour composer une destinée brillante. Une épreuve terrible l’attendait ; il devait perdre sa place, ses honneurs, et subir la peine d’un exil politique. Je n’entrerai pas dans l’examen des causes qui ont attiré un tel malheur sur la tête d’un poëte devenu homme d’État pour un moment : je ne fouillerai point dans certaines particularités propres à fournir quelques traits de plus à la peinture de cet égoïsme incurable, qui aurait conduit certains politiques à une si profonde indifférence sur les hommes et sur les choses, qu’ils auraient pu prendre leurs victimes par ordre alphabétique, et