Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/390

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épigrammes. Lassé des intrigues de la cour, et peut-être aussi déterminé par le mauvais état de ses affaires, il se retira dans son gouvernement de Maillezais ; mais tant que vécut Henri IV, il se montra, dans toutes les occasions, sujet fidèle et zélé ; aussi, chaque fois qu’il se présenta devant ce prince, il en fut toujours bien accueilli, quoiqu’on n’épargnât aucune manœuvre pour le perdre dans son esprit. Ainsi, lorsqu’on croyait Henri IV le plus irrité contre d’Aubigné, les ministres ayant pensé qu’il convenait de choisir un lieu plus sur que Chinon pour y tenir en prison le cardinal de Bourbon, reconnu roi de France par la ligue, Henri IV décida qu’on le transférerait à Maillezais, sous la garde de d’Aubigné ; et, sur ce que du Plessis-Mornay alléguait contre cet avis les sujets de plainte qu’avait ce nouveau gardien, le roi répliqua « que la parole qu’on tirerait de lui était un remède suffisant a l’encontre. » Après la mort de son maître, d’Aubigné passa plusieurs années dans la retraite la plus entière ; il employa ses loisirs à composer l’histoire de son temps, ouvrage écrit avec beaucoup de franchise et de hardiesse. Son âme inflexible, exaltée et austère, s’y révèle sans déguisement ; les rois et les reines y sont sévèrement traités ; Henri III, en particulier, y est peint sous des couleurs hideuses et repoussantes. Ce livre abonde en détails curieux qui ne se rencontrent point ailleurs. Les deux premiers volumes furent imprimés avec privilège ; mais le troisième n’ayant pas été approuvé, à raison de choses trop libres qu’il contenait, d’Aubigné ne laissa pas de le faire imprimer. Cette hardiesse lui réussit mal ; car ce volume, aussitôt après sa publication, fut condamné à être brûlé avec les deux premiers, par arrêt du parlement de Paris, en date du 4 janvier 1620. D’Aubigné, pour éviter les persécutions dont il était menacé, se réfugia à Genève. Son éloignement et la privation de ses biens n’avaient point encore apaisé ses ennemis ; ils le poursuivirent, sous prétexte qu’au mépris des lois, il avait employé, à la réparation des bastions de la ville de Genève, les matériaux d’une église ruinée dès 1572, et obtinrent un arrêt qui le condamnait à avoir la tête tranchée. C’était le quatrième arrêt de mort rendu contre lui, pour de semblables crimes, « lesquels, dit-il, m’ont fait honneur et plaisir.» Dans ce même temps, on parlait de lui faire épouser, à Genève, une veuve de l’ancienne maison des Burlamaqui, aimée et considérée pour sa vertu, son illustre extraction et ses biens, qui étaient considérables. D’Aubigné, pour l’éprouver, lui annonça, le premier, l’arrêt rendu contre lui : mais cette nouvelle ne changea rien à la résolution de cette femme courageuse, et leur mariage se conclut vers 1622. Il mourut à Genève, le 29 avril 1650, âgé de 80 ans, et fut enterré dans le cloitre de l’église St-Pierre. Il avait composé lui-même son épitaphe. Il eût été facile de grossir cet article d’anecdotes sur d’Aubigné ; mais outre qu’elles se trouvent dans tous les recueils, nous pensons qu’un dictionnaire historique ne doit pas être composé sur le plan d’un ana. Nous rapporterons cependant ici un trait fort connu de d’Aubigné, et qui a été défiguré par ceux qui l’ont cité. Une nuit qu’il était couché dans la garde-robe de son maître, avec le sieur de la Force, il lui dit, à plusieurs reprises : « Notre maître est un ladre vert, et le plus ingrat mortel qu’il y ait sur la face de la terre. » La Force, qui sommeillait, lui demanda ce qu’il disait ; le roi, qui avait entendu d’Aubigné, répéta le propos, de quoi d’Aubigné resta un peu confus ; mais son maître ne lui en fit pas pour cela plus mauvais visage le lendemain ; aussi ne lui en donna-t-il pas un quart d’eau davantage. Voilà le trait tel que d’Aubigné le rapporte lui-même. Il avoue qu’il fut confus en entendant le roi, et on conviendra qu’il avait lieu de l’être ; mais il ne dit pas qu’il répondit : e Sire, donnez ; nous en avons bien d’autres à dire. » Ce mot eût été le comble de l’audace. D’Aubigné avait épousé, en premières noces, le 6 juin 1585, Suzanne de Lezay. Il eut plusieurs enfants de ce mariage, entre autres Constant, père de la célèbre dame de Maintenon. Voici le catalogue de ses ouvrages : 1° Vers funèbres sur la mort d’Étienne Jodelle, Paris, 1571, in-4°. 2° Les Tragiques donnés au public par le larcin de Prométhée, au Désert, 1616, in-4° ; sans date (1595), in-8° ; Genève, la Rovière, 1625, in-8°. Cet ouvrage est très-curieux : quoiqu’il ait eu plusieurs éditions, il n’en est pas moins rare ; mais c’est à tort que quelques bibliographes ont dit qu’il avait été brûlé. 5° Les Aventures du baron de Fœneste, nouvelle édit., augmentée de remarques hist., de l’Histoire secrète de l’auteur ; enrichie de notes par M*** (J. le Duchat), Cologne, 1729-1751, 2 vol. petit in-8° ; Amsterdam, 1731, 2 vol. in-12 ; l’édition la plus complète est celle de Genève, 1650, in-8°. Ce roman satirique contient des anecdotes piquantes sur les événements et les hommes du temps : les historiens le consultent avec fruit. 4° Confession catholique du sieur de Sancy ; c’est une satire contre ce seigneur, l’un des favoris de Henri IV ; elle a été imprimée plusieurs fois dans les recueils de pièces du temps. 5° Histoire universelle, depuis l’an 1550 jusqu’à l’an 1601, Maillé (St-Jean d’Angely), Jean Moussat, 1616, 1618 et 1620, 3 vol. in-fol. ; Amsterdam (Genève), les héritiers de Hiérom. Commelin, 1626, in›fol. : la première édition est la plus rare ; mais la seconde est la plus complète et la meilleure ; cependant, comme la première contient des traits satiriques qui ne se trouvent pas dans la nouvelle édition, on peut les réunir. 6° Lettres du sieur d’Aubigné sur quelques histoires de France, et sur la sienne, Maillé, 1620, in-8°. 7° Libre Discours sur l’état présent des Églises réformées en France,1625, in-8°. 8° Petites Œuvres mêlées du sieur d’Aubigné, en prose et en vers, Genève, Pierre Aubert, 1630, in-8°, rare. 9° Histoire secrète de Théod. Agripp. d’Aubigné, écrite par lui-même et adressée à ses enfants, imprimée en tête des Aventures du baron de Fœneste, des éditions de Cologne et de Paris, et séparément, à Amsterdam, 1751, 2 vol. in-12, sous le titre de : Mémoires de la vie de Théod. Agripp. d’Aubigné. On peut consulter cet ouvrage, ou l’on trouve bien des particularités curieuses et intéressantes. On lira aussi avec plaisir l’art. d’Aubigné dans le Dictionnaire historique que