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donné à ses successeurs le moyen de relever quelques-unes de ses fautes. C’est d’ordinaire la seule gloire que conserve celui qui explore le premier une science nouvelle ; mais cette gloire est immense, et elle doit d’autant moins être contestée par celui qui vient le second, que lui-même n’aura vraisemblablement, aux yeux de ceux qui plus tard s’occuperont du même sujet, que le seul mérite de les avoir précédés. » La version du Zend-Avesta a été traduite en allemand par Kleuber. En 1778, Anquetil publia sa Législation orientale, où il combattit, avec plus de vérité que de succès, le système de Montesquieu sur cette même législation. En 1786, parurent ses Recherches historiques et géographiques sur l’Inde ; cet ouvrage, qui fait partie de la Géographie de l’Inde du P. Thieffenthaler, fut suivi, en 1789, de son traité de la Dignité du commerce et de l’État du commerçant. La révolution vint, peu de temps après, troubler le repos dont il jouissait. Trop sensible pour envisager le spectacle des maux de sa patrie, il rompit toutes ses liaisons, s’enferma dans son cabinet, et n’eut plus d’autres amis que ses livres, d’autre délassement que le souvenir de ses chers brahmes et de ses destours, a qui il adressait ces paroles singulières, qu’on peut lire en tête de sa traduction des Upanischadas : « Anquetil-Duperron aux sages de l’Inde, salut. — Vous ne dédaignerez pas les écrits d’un homme qui est, pour ainsi dire, de votre caste, ô hommes sages ! Écoutez, je vous prie, quel est mon genre de vie. Ma nourriture quotidienne se compose de pain, d’un peu de lait ou de fromage et d’eau de puits ; le tout coûtant quatre sous de France, ou le douzième d’une roupie indienne : je passe l’hiver sans feu ; l’usage des matelas, des draps, m’est inconnu ; mon linge de corps n’est ni changé ni lavé. Sans revenu, sans traitement, sans place, je vis de mes travaux littéraires, assez bien portant pour mon âge et eu égard à mes fatigues passées. Je n’ai ni femme, ni enfants, ni domestique : privé de tous les biens de ce monde, et affranchi de ses liens, seul, absolument libre, j’aime cependant beaucoup tous les hommes et surtout les gens de bien. Dans cet état, faisant rude guerre à mes sens, je méprise les séductions du monde et je les surmonte ; je suis prés du terme de mon existence ; j’aspire vivement et avec de constants efforts vers l’Être suprême et parfait, et j’attends avec calme la dissolution de mon corps. » Anquetil s’imposait volontairement ces privations : il ne tenait qu’à lui de vivre dans l’aisance ; soit fierté, soit bizarrerie, il refusa constamment les récompenses qui lui furent offertes et que méritaient ses utiles travaux. Un de ses biographes raconte que Louis XVI ayant destiné des fonds pour en gratifier ceux des hommes de lettres et des savants auxquels la France avait le plus d’obligation, il avait fait comprendre Anquetil-Duperron pour une somme de 5,000 fr. Un ami les lui porta, et plaça le sac qui les contenait sur sa cheminée : mais il ne fut pas plutôt sorti qu’Anquetil s’en saisit, et courut le lancer aux trousses de son ami, qui retrouva le sac arrivé avant lui au bas de l’escalier. On fut obligé d’avoir recours à la ruse pour lui faire accepter une partie de cette somme : il avait une vieille pendule de très-peu de valeur ; on lui fit accroire qu’elle était d’un prix inestimable et on la lui acheta pour 1,500 fr. La société d’instruction publique lui ayant plus tard alloué une pension de 6,000 fr., Anquetil renvoya le brevet en disant qu’il n’en avait pas besoin. L’extérieur de ce savant était si misérable, qu’on lui offrit souvent l’aumône ; il refusait modestement. Les fruits de sa retraite furent, en 1798, l’Inde en rapport avec l’Europe, 2 vol. in-8o, et, en 1804. la traduction latine, faite du persan, des Oupnek’at, ou Upanischadas, poëmes métaphysiques faisant partie des Vedas, 2 vol. in-4o. Cette traduction est, après celle du Zend-Avesta, la publication la plus importante d’Anquetil-Duperron. La version persane d’après laquelle elle fut faite, et qui lui avait été envoyée de l’Inde par Legentil, était l’œuvre de Dara-Schekouh, fils aîné de l’empereur Schah-Djehan, frère d’Aureng-Zeb. Dara-Schekouh avait mis à contribution les lumières d’un grand nombre de brahmes et de sannyasis savants dans la langue sanskrite. La version du prince n’est le plus souvent, dit M. Paulthier, qu’une paraphrase du texte sanskrit, que ne connut point Anquetil, et qu’il n’aurait pas été alors en état de comprendre : aussi la traduction latine de la paraphrase persane, quoique ce soit la traduction la plus littérale que l’on ait jamais faite d’une langue quelconque, puisque chaque mot persan est rendu par un mot latin correspondant, ne représente-t-elle pas fidèlement l’original sanskrit ; mais elle est très-utile comme commentaire pour aider à l’intelligence du texte. Anquetil a rendu un grand service aux lettres en faisant connaître ces Upanischadas, sections des Védas. Lorsque l’Institut fut réorganise, Anquetil en fut nommé membre, et donna peu après sa démission. Enfin, épuisé par ses longs travaux, par le régime auquel il s’était astreint, et par les infirmités de la vieillesse, il mourut à Paris, le 17 janvier 1805. Quelques instants avant de rendre le dernier soupir, il dit à son médecin : « Je vais partir pour un voyage bien plus grand que tous ceux que j’ai déjà faits ; mais je ne sais où j’arriverai. » Outre les ouvrages que nous avons indiqués, il avait encore lu à l’Académie plusieurs mémoires, dont l’objet est de prouver l’authenticité des ouvrages attribués par les Parses à Zoroastre, et d’éclaircir l’histoire et les langues anciennes de l’Orient. Il était occupé à revoir une traduction du Voyage aux Indes orientales du P. Paulin de St-Barthélemy, et a la publier avec des corrections et des additions, lorsque sa mort arrêta l’impression de cet ouvrage, qui a été continué par les soins de M. Silvestre de Sacy, et a paru en 1808, 3 vol. in-8o. Enfin, Anquetil a laissé un grand nombre de manuscrits, parmi lesquels on distingue la traduction d’un traité de l’Église, en latin, du célèbre docteur Legros, 4 vol. in-4o. Une immense érudition, la connaissance de presque toutes les langues de l’Europe, dont il se facilitait l’étude par des méthodes qui lui étaient propres, et une activité infatigable, étaient