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Anquetil n’avait aucune vocation l’état ecclésiastique, et se livrait avec ardeur à l’étude de l’hébreu et de ses nombreux dialectes de l’arabe et du persan. Ni les sollicitations de M. de Caylus, ni l’espoir d’un avancement, ne purent le retenir à Amersfoort lorsqu’il crut n’avoir plus rien à y apprendre. il revint à Paris, ou son assiduité a la bibliothèque du roi, son ardeur pour le travail et ses progrès, lui méritèrent l’attention de l’abbé Sallier, garde des manuscrits. Ce savant le fit connaître à ses confrères et à ses amis, qui s’unirent à lui pour faire accorder au jeune Anquetil un modique traitement, en qualité d’élève pour les langues orientales. Il avait à peine obtenu cet encouragement, lorsque le hasard fit tomber dans ses mains quelques feuillets calqués sur un manuscrit Zend du Vendidad-Sadé. Dès lors plus de repos pour lui ; l’Inde devient le but de ses travaux : il forme le projet de la parcourir pour découvrir les livres sacrés des Parses, et ne songe plus qu’aux moyens de l’exécuter. L’occasion était favorable : on préparait, au port de Lorient, une expédition pour cette contrée. Cependant les démarches de ses protecteurs pour lui obtenir le passage sont sans succès. Cet obstacle ne fait qu’accroître son ardeur. Il va trouver le capitaine de recrutement, s’engage, malgré ses représentations, et part de Paris en qualité de soldat, le sac sur le dos, le 7 novembre 1754. Aussitôt que ses protecteurs furent instruits de son départ, ils volèrent chez le ministre, qui, touché de ce trait de zèle pour les sciences, lui accorda le passage franc, la table du capitaine, et un traitement qui devait être fixé par le gouverneur des établissements français dans l’Inde. Après neuf mois de traversée, le jeune missionnaire de la littérature indienne débarqua, le 10 août 1755, à Pondichéry. Il ne resta dans cette ville que le temps nécessaire pour apprendre le persan moderne, et se rendit en toute hâte à Chandernagor, où il se flattait d’étudier le sanskrit, qui était alors complétement inconnu en Europe. Dès qu’il y fut arrivé, il reconnut qu’il s’était livré à des espérances trompeuses : dans cette ville marchande, on faisait peu de cas de la langue des brahmes, et sans ce contretemps déplorable, la France ne se serait pas vu enlever la gloire d’initier l’Europe a la connaissance de l’antique civilisation des Indous. Anquetil était sur le point de s’en retourner, lorsqu’une maladie grave fit craindre pour ses jours, et il était à peine échappé a ce danger que la guerre se déclara entre la France et l’Angleterre et que Chandernagor fut pris. Craignant alors de manquer l’objet de ses voyages, et désirant retourner à Pondichéry, il se décida à faire ce trajet par terre : il part seul, presque sans argent et sans bagages, traverse des contrées infestées par des bêtes féroces, brave leur fureur et la perfidie de ses guides, visite toutes les pagodes, recueille tous les renseignements utiles, et arrive à Pondichéry après cent jours de marche, pendant lesquels il avait parcouru un espace de près de quatre cents lieues, sous un climat brûlant et inhabité. Il y trouva un de ses frères qui arrivait de France, et s’embarqua avec lui pour Surate ; mais, désirant connaître ce pays, comme il connaissait la côte de Corontandel, il descendit à Mahé, ou le vaisseau relâcha, et se rendit à pied à Surate. Ce fut là qu’il parvint à force de persévérance et de soumission, à vaincre l’humeur farouche et les scrupules de quelques destours (prêtres parses) du Guzarate. Il acquit auprès d’eux une connaissance assez étendue du zend et du pehlvy pour traduire le Vendidad-Sadé et quelques autres ouvrages écrits dans ces langues. Il se proposait d’aller étudier la langue, les antiquités et les lois sacrées des Indous à Bénarès, lorsque la prise de Pondichéry le força à retourner en France. il monta sur un vaisseau anglais, débarqua à Londres, où il séjourne quelque temps, visita Oxford, et fut de retour à Paris le 4 mai 1762, sans fortune, sans désir d’en acquérir, mais riche de cent quatre-vingts manuscrits presque tous en rend, et d’autres objets rares. À son arrivée, il dépose à la bibliothèque royale dix-huit volumes rends, comprenant ce qui reste des livres de Zoroastre. L’abbé Barthélemy et ses autres amis lui firent obtenir une pension, avec le titre et les appointements d’interprète pour les langues orientales à la bibliothèque du roi. En 1765, l’académie des belles-lettres le reçut au nombre de ses associes ; dès lors il se livra tout entier à la rédaction et à la publication de ses matériaux. En 1771, il publia, en 5 vol. in-4o, sa traduction du zend-Avesta, ou recueil des livres sacrés des Parses, à laquelle il joignit une relation curieuse de ses voyages et une vie de Zoroastre. Cette version est l’œuvre capitale d’Anquetil ; elle a servi de base à tous les travaux entrepris depuis en Europe sur les antiques institutions religieuses de la Perse. M. E. Burnouf, dans la préface de son commentaire sur le Jaçna, s’exprime ainsi sur le travail d’Anquetil : « En donnant au public une version que tout l’autorisait à croire fidèle, Anquetil a pu se tromper, mais il n’a certainement voulu tromper personne ; il croyait à l’exactitude de sa traduction, parce qu’il avait foi dans la science des Parses qui la lui avaient dictée. Au moment où il la publiait, les moyens de vérifier les assertions des Mobeds, ses maîtres, étaient aussi rares que difficiles à rassembler. L’étude du sanskrit commençait à peine, celle de la philologie comparative n’existait pas encore ; de sorte que, quand même Anquetil, à la vue des obscurités et des incohérences qui restaient dans l’interprétation des Parses, eut éprouve un sentiment de défiance que, nous osons le dire, rien n’éveillait en lui, il n’eût pu aisément discuter leur témoignage avec quelque espoir d’en découvrir la fausseté. Il n’est donc pas responsable des imperfections de son ouvrage ; la faute en est à ses maîtres, qui lui enseignaient ce qu’ils ne savaient pas assez, circonstance d’autant plus fâcheuse, qu’il lui était impossible de s’adresser à d’autres qu’à eux. Ses erreurs sont du genre de celles qui sont inévitables dans un premier travail sur une matière aussi difficile ; et, lors même qu’elles seraient plus nombreuses, il resterait encore à Anquetil-Duperron le mérite d’avoir osé commencer une aussi grande entreprise, et d’avoir