Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 2.djvu/703

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« sagesse de nos pères comme de leur terre et de leur soleil. » Avec ces maximes, Balzac ne pouvait pas être homme de résistance et d’opposition : aussi, tout ce qu’il écrivit sur les matières d’État a-t-il le caractère de la soumission et de la flatterie. Son Prince n’est qu’une longue apothéose du pouvoir absolu, et une intrépide flagornerie d’un prince qui a mérité peu d’estime : son Ministre est écrit dans les mêmes sentiments. Cependant, comme ces avances eurent peu de succès, Balzac en garda rancune au prince et au ministre. Si Balzac interdit aux sujets toute pensée d’indépendance politique, il ne se déclare pas moins vivement contre le libre examen dans les matières religieuses : « Bon Dieu, s’écrie-t-il, qu’Aristote et sa dialectique ont gâté de têtes!Qu’il y a dans le monde de fous sérieux, de fous qui se fondent en raison, de fous qui sont déguisés en sages ! Ô mon Dieu, que le silence du sanctuaire est bien meilleur que le babil des académies, et qu’il vaut bien mieux marcher dans la simplicité de vos voies, que de s’égarer dans le labyrinthe d’Aristote. » Et ailleurs : « J’aime bien mieux cette raison, prisonnière de la foi et sacrifiée par humilité ; cette raison, abattue et endormie, voire même morte et enterrée aux pieds des autels, que cette autre raison juge de la foi ; animée d’orgueil et de vanité ; si vive et si remuante dans les écoles, qui fait tant la maîtresse et la souveraine ; qui ne parle que de régler et de vaincre partout où elle est. » En vertu de ces principes, Balzac, aussi bien que Malherbe, est intraitable à l’encontre des protestants, et d’un seul mot il repousse les prétentions de la réforme. « Quelle apparence y aurait-il, que depuis le commencement du monde la vérité eut attendu Martin Luther pour se venir découvrir a lui à la taverne et sortir par une bouche qui a plus vomi qu’elle n’a parlé. in image et l’expression sont passablement grossières pour un homme qui a donné cours au mot urbanité, mais l’argument n’en a pas moins quelque valeur. Au reste, la soumission de Balzac a la foi catholique ne s’est pas faite à titre gratuit : elle lui a inspiré de grandes idées et de belles pages. Il touche au sublime, lorsqu’il trace il grands traits la venue du Christ et les prodiges accomplis par un enfant : à Une a étable, une crèche, un bœuf et un âne! Quel palais, bon Dieu, et quel équipage ! Cela ne s’appelle pas naître dans la pourpre, et il n’y a rien ici qui sente la grandeur de l’empire de Constantinople. Ne soyons point honteux de l’objet de notre adoration ; nous adorons un enfant ; mais cet enfant est plus ancien que le temps. Il se trouve a la a naissance des choses : il eut part à la structure de l’univers ; et rien ne fut fait sans lui, depuis le premier trait de débouchement d’un si grand dessein, jusqu’à la dernière pièce de sa fabrique. Cet enfant fit taire des oracles, avant qu’il commençåt à parler. Il ferma la bouche aux démons étant encore entre les bras de sa mère. Son berceau a été fatal aux temples et aux autels ; a ébranlé les fondements de l’idolâtrie ; a renversé le trône du prince du monde. Cet homme promis à la nature, demandé par les prophètes, attendu des nations ; cet homme enfin descendu du ciel, a chassé, a exterminé les dieux de la terre. Avant lui, on se doutait bien de quelque chose. On donnait de légères atteintes à la vérité : on avait quelques soupçons et quelques conjectures de ce qui est. Mais les plus intelligents étaient les plus retenus et les plus timides à se faire entendre ; ils n’osaient se déclarer sur quoi que ce soit ; ils ne parlaient qu’en tremblant et en hésitant des affaires de l’autre vie : ils consultaient et délibéraient tous jours, sans jamais se résoudre ni prendre parti. C’est ce Jésus-Christ qui a fait cesser les doutes et les irrésolutions de l’académie ; qui a même assuré le pyrrhonisme. Il est venu arrêter les pensées vagues de l’esprit humain, et fixer ses raisonnements en l’air. Après plusieurs siècles d’agitation et de trouble, il est venu faire prendre terre à la philosophie, et donner des ancres et des ports à cette mer, qui n’avait ni fond ni rive. » Je sais bien que si l’on remonte jusqu’aux Pères de l’Église, et que l’on descende à Bossuet, on trouvera chez les uns le germe puissant de ces beautés, et chez l’autre de plus riches développements ; mais ce n’est pas un médiocre mérite que d’être le disciple fidèle des premiers interprètes de la foi et comme le précurseur de leur dernier rival. La politique et la religion ne donnent donc à Balzac d’autres soins que de connaître le nom et la volonté des princes, les ordres et les ministres de Dieu, de se soumettre et d’adorer ; de ce côté il est esclave, mais il retrouve son indépendance en se tournant vers humanité et la société. D’abord la philanthropie (ce mot l’aurait fait frémir pour le fond et pour la forme) n’a point de place en son cœur où il règne seul, en idole. Pourquoi se mettrait-il en peine des misères du genre humain ? « Certes, disait-il, nous n’aurions jamais fait si nous voulions prendre à cœur les affaires du monde et avoir de la passion pour le public dont nous ne faisons qu’une petite partie : peut-être qu’il l’heure qu’il est, la grande flotte des Indes fait naufrage à deux lieues de terre ; peut-être que fermée du Turc prend une province sur les chrétiens et enlève 20 000 âmes pour les mener à Constantinople ; peut-être que la mer emporte ses hommes et noie quelque ville de Zélande. Si nous faisons venir les malheurs de si loin, il ne se passera heure de jour qu’il ne nous arrive du déplaisir ; si nous tenons tous les hommes pour nos parents, faisons état de porter le deuil tout le temps de notre vie. » Balzac n’a garde de faire venir les malheurs de loin, il aime mieux écarter par l’insensibilité ceux qui le touchent de près ; lorsque son père meurt, il se contente d’écrire négligemment : « Depuis ma dernière lettre, j’ai perdu mon bonhomme de père. » D’après ce langage, il n’y a pas apparence qu’il en porte longtemps le deuil, au moins dans son cœur. Il est vrai que Guillaume Guez mourut presque centenaire. Avec cette sécheresse d’âme il n’est pas étonnant que Balzac ait décliné la responsabilité de chef de famille, et qu’il ait passé sa vie dans un isolement superbe. Quand même il