Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 22.djvu/458

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LAF

France que lors de la fédération de 1790. Mais son éloignement ne découragea pas les efforts de ses partisans : des lettres adressées aux ministres dénoncèrent l’explosion imminente d’un complot tendant à placer sur le trône « un personnage puissant. » Lafayette ayant insinué au roi et à la renie que le soupçon ne pouvait regarder que le duc d’Orléans: « Il n’est pas nécessaire d’être prince, objecta Marie-Antoinette, pour prétendre à la couronne.- Du moins, Madame. répondit le général, je ne connais que le duc d’Orléans qui en voulut. » l’assemblée constituante n’avait pas tardé à suivre le roi à Paris ; mais ce double déplacement n’adoucit point l’irritation de la multitude. La révolution suivait son cours ; les pouvoirs publics, par une pente inévitable, commençaient à échapper aux classes moyennes pour descendre dans les classes intérieures de la société. Les premiers jours de 1790 furent marqués par l’arrestation et le supplice du marquis de Favras, accusé fort mal à propos d’un complot contre-révolutionnaire avec la participation de Monsieur, frère du roi. Le discours que ce prince prononça à l’hôtel de ville, pour désavouer son loyal et infortuné mandataire[1], excita indignation de Lafayette, qui s'était fort exagéré l’importance de cette affaire, et devint entre ces deux personnages la source d’une inimitié qui n’eut pour terme que la mort. Ce fut dans ces conjonctures tumultueuses que l’assemblée eut à discuter la loi sur les attroupements, et dans cette discussion que Lafayette fit entendre à la tribune une phrase devenue célèbre : « Pour la révolution, il a fallu des désordres, car l’ordre ancien n'était que servitude. et, dans ce cas, l'INSURRECTION EST LE PLUS SAINT DES DEVOIRS ; mais pour la constitution, il faut que l'ordre nouveau s'affermisse, que les lois soient respectées. » Cette proposition, extraite d’un mémoire sur les états généraux, publié en 1788 par le comte d’Entraigues, était doublement condamnable et dans son principe et dans les circonstances où elle se trouvait énoncée. Appliquée contre toute justice au gouvernement Ie plus inoffensif et le plus bienveillant qui eut jamais existé, la maxime insurrectionnelle de Lafayette justifiait implicitement les récents excès des 5 et 6 octobre, et tendait à encourager de nouveaux désordres. Cette maxime, étendue par un abus inévitable aux proportions d’une vérité générale et absolue, est devenue en quelque sorte la préface habituelle de toutes les révolutions qui depuis soixante-dix ans ont agité le globe ; il n’en est aucune dont l’ordre social ait recueilli des fruits plus amers. Nous verrons plus tard son promoteur lui-même en exagérer l’usage en l’appliquant, par voie de complot, au régime pacifique et prospère de la restauration, et fournir ainsi la preuve la plus concluante de sa redoutable élasticité. Il faut reconnaître, toutefois, que Lafayette, fidèle, du moins à cette époque, aux conditions du principe qu’il avait posé, ne cessait de se montrer le plus ferme adversaire de l’anarchie. On le vit plus d’une fois exposer sa vie pour faire rentrer dans l’ordre une multitude échappée au frein des lois, mais dont les grands mouvements, dit M. Lacretelle, « conservaient toujours pour son esprit fasciné quelque chose de sublime et de sacré. » Sa fermeté déconcerta plusieurs séditions qui pouvaient devenir fatales à la sécurité publique. Il s’entendit avec Bailly pour fonder le club des Feuillants. société destinée à balancer l’influence du club des Jacobins, et à contenir ce débordement des idées démagogiques auquel ses aveugles excitations n’avaient eu que trop de part. Lorsque l’assemblée promulgua la fatale constitution du clergé, Lafayette, plein des idées américaines sur l’égalité pratique des religions, protégea, dans l’intérêt même de la liberté, le culte non assermenté, et ce culte fut constamment en usage dans sa propre famille. Enfin, il proposa au roi le rappel de ses gardes du corps, licenciés après les événements d’octobre ; mais la reine s’y opposa, de peur de mettre en péril la vie de ces fidèles militaires. Le retour apparent de Lafayette aux idées monarchiques n’inspirait aucune confiance à Marie-Antoinette, bien qu’il s’efforçât de la persuader par le ton d’une austère franchise: « Si je croyais, lui disait-il, que la destruction de la royauté fût utile à mon pays, je ne balancerais pas ; car ce qu’on appelle les droits d’une famille au trône n’existe pas pour moi ; mais, il m’est démontré que, dans les circonstances actuelles, l’abolition de la royauté constitutionnelle serait un malheur public. » Le général parut avec éclat à la fête de la Fédération du 14 juillet, à la tête d’une députation de dix-huit mille gardes nationaux, entouré d’un nombreux état-major et monté sur le cheval blanc qui lui servait ordinairement dans ces solennités ; il favorisa avec beaucoup de zèle les acclamations adressées au roi, et dont la chaleur ranima chez tous les amis de l’ordre et du trône des espérances qui devaient trop promptement s’évanouir. Le retour du duc d’Orléans devint le signal des premières hostilités du parti jacobin contre les constitutionnels et contre Lafayette, que les clubs et les groupes populaires commencèrent à désigner du nom de traitre. L’énergie avec laquelle il se prononça pour la répression des désordres occasionnés à lletz et à Nancy par la révolte de trois régiments de ligne qui avaient chassé leurs officiers, fortifia ces dispositions malveillantes. Sa popularité déclinait visiblement. Un nouvel épisode révolutionnaire vint constater cette défaveur. Le 28 février 1791, Lafayette reçut avis qu’un nombreux attroupement, conduit par le trop fameux Santerre, s’était porté sur le donjon de Vincennes, pour faire éprouver sans doute a ce château le même sort qu’à la Bastille. Après

  1. [Voir, dans la Revue des deux Mondes du 16 juin 1851, l'excellent travail de M. de Valon sur le prétendu complot du marquis de Favras.]