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avoir brisé les meubles qui garnissaient le fort, le peuple commençait la démolition des parapets de la plate-forme, lorsque le général accourut à la tête des grenadiers de la garde nationale. Il fut accueilli par les cris : A bas Lafayette! et ces cris furent répétés par une partie des grenadiers même qui marchaient à sa suite. Lafayette ordonna aux perturbateurs de sortir des rangs ; sa voix fut méconnue. Aidé de quelques cavaliers, il attaqua courageusement les factieux, qui se replièrent sur le faubourg St-Antoine, dont ils disputèrent avec acharnement l’accès au corps demeuré fidèle. Lafayette triompha de leur résistance et rentra dans Paris aux acclamations de tous les amis de l’ordre public. Au même instant, une scène d’une autre nature se passait au château des Tuileries. Les périls de la famille royale, évidemment menacée par ce mouvement séditieux, y avaient attiré un certain nombre de royalistes en armes. L’accueil empressé que leur firent la reine et Madame Élisabeth excita l’ombrage et les murmures de la garde nationale, et le faible Louis XVI, informé de ces rumeurs, ordonna à ces gentilshommes de déposer leurs armes entre ses mains. Ils avaient obéi avec résignation, lorsque Lafayette arriva au château. Il prit avec ardeur le parti de la garde qu’il commandait ; il souffrit que ce petit nombre de chevaliers fidèles, parmi lesquels il pouvait reconnaître plusieurs parents ou d’anciens amis, fût chargé de menaces et n’outrages, et expulsé, sous ses yeux, du palais qu’ils étaient venus défendre. Le lendemain, dans un ordre du jour, le commandant général flétrit « le zèle très-justement suspect qui avait porté quelques hommes à oser se placer entre la garde nationale et le roi, » et ajouta que « le roi de la constitution ne devait et ne voulait être entouré que des soldats de la liberté. » Cette conduite, soit qu’elle fût motivée par un vain amour de popularité, ou par le désir de calmer les passions de la multitude, a été amèrement reprochée à Lafayette, et l’histoire trace avec peine cette humiliation infligée à un reste d’honneur monarchique par une politique cruelle, à une époque voisine du 10 août. Ces timides ménagements étaient désormais impuissants à sauver la royauté. Chaque jour aggravait les périls qui la menaçaient. L’émigration, commencée le lendemain des 5 et 6 octobre, se propageait avec une effrayante activité. Quelques esprits ardents songèrent à appeler l’intervention étrangère dans nos débats intérieurs, et Louis XVI avait secrètement adressé, dès le 3 décembre 1790, un mémoire aux cabinets européens pour solliciter l’établissement d’un congrès continental destiné à imposer, par sa seule existence, aux factieux qui conjuraient la ruine du trône. Ces démarches étaient activement secondées par le comte d’Artois et par les nombreux émigrés qui avaient fui d’imminentes persécutions. En se rattachant franchement et énergiquement au parti royaliste, Lafayette eut prévenu de telles extrémités ; mais le général servait l'ordre sans zèle pour le roi. L’austérité républicaine avait glacé en lui cette foi monarchique, ce dévouement chevaleresque qui, dans les monarchies, n’importe pas moins à l’intérêt des peuples qu’au salut des souverains eux-mêmes. La mort de Mirabeau porta le dernier coup à la cause royale. Ramené tardivement à des sentiments conservateurs par les libéralités de la cour et par la perspective des catastrophes qui menaçaient la société, le fougueux tribun avait fait adjurer sans succès Lafayette d’en détourner l’explosion par l’alliance de leurs forces communes. Un fait, préparé, a-t-on dit, par ses derniers conseils, vint constater ouvertement l’état de captivité du malheureux monarque. Le 18 avril, Louis XVI, qui avait annoncé hautement l’intention d’aller remplir à St-Cloud ses devoirs religieux, en fut empêché par une multitude ameutée sur le bruit que ce départ n’était qu’un commencement d’évasion. Lafayette ordonna vainement à la garde nationale de rendre la circulation libre : il ne fut point obéi ; et le roi, forcé de rentrer dans ses appartements, se plaignit, sans plus d’effet, à l’assemblée, de la violence qui lui avait été faite. Le général conçut alors et exécuta le projet louable de se démettre du commandement qu’il exerçait. Mais sa résolution fléchit une seconde fois devant les instances et les protestations de la milice citoyenne, et il eut le malheur de se trouver à sa tête, lorsque la fuite et l’arrestation du roi (20 juin) aggravèrent d’une manière si fâcheuse la responsabilité de ce commandement. Cette déplorable tentative, dont on n’a pas craint de nos jours de faire un grief contre la famille royale, n’avait été en aucune façon pressentie par Lafayette, que rassuraient, indépendamment de précautions minutieuses, les affirmations précises du roi. Le soir même de l’évasion, le général déclarait à Bailly que les issues des Tuileries étaient tellement gardées qu’une souris n’en pourrait sortir [1]. L'exaspération populaire fut très-vive contre Lafayette, qu’on accusait hautement de connivence avec la cour ; il calma par degrés ces dispositions menaçantes en s’avançant seul et sans escorte au-devant de la multitude, répandue sur la place de Grève. Mandé à l’assemblée, il se borna à confirmer les explications qu’avait fournies son aide de camp Gouvion, à qui la garde du château était spécialement confiée. Cependant il demanda secrètement an président Beauharnais et au maire de Paris si, dans leur opinion, l’arrestation du roi importait au salut de l’État ; et, sur leur réponse affirmative, il dépêcha un aide de camp sur la route de Montmédy, présumant que ce prince chercherait à s’y réunir au corps commandé par Bouillé. Lafayette s’applaudit, dans ses Mémoires. que l’exécution de cet ordre n’ait

  1. [Histoire de l'événement de Varennes, par M. le comte de Sèze, 1843]