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le plus ardent de la licence. À peine l’assemblée constituante était-elle dissoute qu’il se vit proscrit, et, quoique membre du conseil judiciaire établi près le ministre de la justice, il fut attaqué dans la rue au nom de la liberté, frappé à coups de sabre et laissé pour mort dans un café où il s’était réfugié. Il espéra pouvoir se dérober à tous les dangers en se rendant dans la petite ville de Forges ; mais sa retraite fut découverte : les terroristes vinrent l’y chercher, et il fut arrêté avec le duc de la Rochefoucauld, dont il était le compagnon d’exil. Par bonheur, un des sicaires reconnut en Moreau un ancien bienfaiteur et favorisa son évasion. Il chercha un nouvel asile au Havre ; mais, informé à temps que Robespierre avait donné l’ordre de l’y faire arrêter, il parvint à s’embarquer pour les États-Unis en 1793, avec sa femme et deux enfants en bas âge. Il perdit tout et n’eut que le temps d’emporter ses manuscrits. Arrivé à New-York, ce magistrat, que, peu de temps auparavant, le roi avait désigné pour une intendance coloniale, fut réduit à se faire le commis d’un marchand, homme grossier et dur qui rendit sa condition insupportable. Cependant Moreau s’était procuré quelques ressources, et il alla s’établir à Philadelphie, où il ouvrit un magasin de librairie ; plus tard il y ajouta une imprimerie. Ce fut là qu’il mit au jour sa Description de St-Domingue, ainsi que d’autres ouvrages qui lui appartenaient, soit en propre, soit comme traducteur. Il vécut alors dans une sorte d’aisance et put rendre service à plusieurs Français expatriés par suite de la révolution. Enfin l’ordre s’étant rétabli en France, Moreau y revint après cinq ans d’absence sous les auspices de son ami l’amiral Bruix, ministre de la marine, qui le nomma historiographe de ce département. À l’époque de l’établissement du consulat, Moreau fut nommé conseiller d’État, puis créé commandeur de la Légion d’honneur. Peu de temps après, il fut envoyé auprès de l’infant duc de Parme et chargé d’une mission diplomatique importante. Par deux traités secrets, conclus entre à France et l’Espagne, l’un à la fin de 1800 et l’autre le 21 mars 1801, la Toscane avait été érigée en royaume, et cédée par la France à l’infant don Louis, prince héréditaire de Parme, à la condition que les États de Parme, Plaisance et Guastalla, héritage de cet infant et que possédait comme souverain son père don Ferdinand, passeraient à la France sous la garantie de l’Espagne. On devait indemniser le duc régnant en lui accordant des rentes et des terres. En attendant que le nouveau roi d’Etrurie, qui était alors en Espagne, fût arrivé dans ses États, Moreau, désigné pour l’ambassade de Florence, fut envoyé à Parme, auprès de don Ferdinand, pour lui faire connaître les traités qui le spolíaient et réclamer de lui la renonciation à son duché. Moreau, touché de l’infortune d’un prince que sa sœur surtout (la reine d’Espagne) rendait ainsi victime de son ambition pour l’époux de sa fille, remplit sa mission avec tant de ménagement et si peu d’empressement à dépouiller Ferdinand de son autorité, que le duc de Parme et l’archiduchesse, son épouse, le comblèrent des marques de leur affection et de leur confiance. Le duc mourut le 9 octobre 1802 d’une maladie inflammatoire. Dès lors le premier consul enjoignit à Moreau de prendre, au nom de la France, possession des États du défunt et de les gouverner sous le titre d’administrateur général. Il se trouva revêtu d’une autorité immense, puisqu’il exerçait les droits régaliens et même celui de faire grâce. Il administra ces contrées d’une manière toute paternelle, accorda une protection spéciale aux établissements de bienfaisance et d’instruction publique, et fit partout observer la justice la plus exacte. À la fin de 1805, on avait ordonné la réunion d’un camp de réserve à Bologne, et la milice des États de Parme devait en faire partie : quelques compagnies de cette milice, qui habitaient les montagnes de l’État de Plaisance, refusèrent de marcher et se mirent en révolte. Moreau sut les ramener à l’obéissance par les seuls moyens de persuasion : on le blâma de n’avoir pas sévi, et le général Junot, envoyé à Parme avec des pouvoirs extraordinaires, y établit une commission militaire ; on rechercha les fauteurs de la révolte, un grand nombre de victimes furent fusillées et on brùla deux villages, bien que le calme fût déjà rétabli. Moreau, qui gémissait de déployer une rigueur inutile, s’y opposa fortement, ce qui n’eut d’autre effet que de le faire rappeler à Paris. Il y arriva complétement disgracié, mais fier d’une conduite qu’approuvaient tous les honnêtes gens. On le priva de ses appointements de conseiller d’État, et on lui refusa même le remboursement de quarante mille francs d’arrérages. Il obtint une audience de Napoléon, et l’explication étant devenue fort vive, Moreau lui dit avec gravité : "Je ne vous demande point de récompenser ma probité ; je demande seulement qu’elle soit tolérée : ne craignez rien, cette maladie n’est pas contagieuse". La saillie ne déplut point ; mais le sort de Moreau ne fut pas amélioré, et, bientôt réduit aux plus dures nécessités, il se vit contraint de vendre son argenterie, sa montre, ses livres les plus précieux, et même une partie de son linge. Pendant six années, il languit dans cette indigence. En 1812 cependant, on lui accorda une faible pension, qui suffisait à peine aux besoins de sa maison et qu’il conserva jusqu’à sa mort. Il se consolait de ses adversités dans son cabinet d’étude où il travaillait pendant dix heures chaque jour à la rédaction des ouvrages qu’il a laissés en manuscrit, particulièrement aux Mélanges de sa vie, travail d’un grand intérêt, parce que, dans ce cadre, il a fait entrer l’histoire politique et littéraire de l’époque où il a vécu, des détails intéressants sur un grand