Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 32.djvu/348

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de Napoléon. Aussi le but, l’esprit de toutes les instructions données à Junot par son maître, c’était d’opérer de façon à s’emparer de la reine, du régent et du duc de Beira, et l’expédition de Junot fut manquée non pas lorsqu’il fut chassé de Lisbonne, mais au moment même où, occupant rapidement le Portugal, il ne put tomber à Lisbonne à temps pour y retenir les deux princes et la reine. Il n’avait d’abord été question entre lord Strangford et la cour que d’une émigration partielle, et seul dom Pedro devait partir pour le Brésil avec diverses personnes désignées pour lui former un cortége. Mais chaque jour ajoutant aux chances déjà si graves d’un enlèvement de son aïeule et de son père, il fut bientôt décidé que toute la famille royale et toute la cour devaient se transporter au Brésil, tandis que l’escadre britannique bloquerait le littoral du pays dont incessamment les Français allaient se trouver maîtres. Il ne manquait aux émigrants que de passer à bord des navires anglais ; sir Sidney Smith osa bien le proposer au régent dès qu’il vit les Portugais en mer (27 novembre 1807), ès qu’il, fut sûr que la proie de l’Angleterre ne pourrait lui échapper. Jean VI eut, dit-on, le mérite de rejeter péremptoirement cette proposition inconvenante ; mais on ajoute aussi que le duc de Beira, malgré son âge bien tendre, se prononça contre l’ouverture de sir Sidney Smith, comme si son adhésion eût été en cette occasion de quelque valeur ! Le fait au ’reste n’offre rien d’impossible, soit qu’on songe à l’esprit bouillant et même un peu brusque que déjà l’on reconnaissait au jeune prince, soit qu’on réfléchisse à l’antipathie de beaucoup de Portugais pour leurs amis et protecteurs les Anglais. Et dans ce cas même, bien évidemment, le mérite du petit prince se serait borné à se faire l’écho d’un des propos qu’il aurait entendus autour de lui et qui aurait éveillé en lui la fibre de la nationalité. On sait combien la cour de Portugal se trouva dépaysée et malheureuse au Brésil. Il ne pouvait en être de même d’un enfant qui, d’une part, n’avait pu prendre encore au même degré que des hommes plus âgés les habitudes de la vie européenne, et qui, de l’autre, montrait une vivacité, une résolution plus sympathiques avec la nature originale et grandiose u Brésil qu’avec le régime ordinaire des infants de Portugal. Pedro eut pendant un temps pour gouverneur l’ex-ambassadeur en Danemarc, le vieux Rodemacher, diplomate consommé, esprit supérieur, versé dans les langues, plus versé encore dans la connaissance des intérêts et des cours de l’Europe, et sachant s’attirer en même temps la considération et l’affection de son élève. Rodemacher, dit-on, périt empoisonné au grand plaisir des courtisans, qui redoutaient son caractère, son influence, et il eut pour successeur le.franciscain Antonio d’Arriba, depuis évêque. Cependant les semences jetées par le vénérable instituteur ne restérent pas sans fruit. Même en réduisant des neuf dixièmes les louanges prodiguées à dom Pedro par des écrivains trop admirateurs, il est évident que ce prince, doué d’une activité d’esprit et de corps remarquable, aimait vraiment à développer et à exercer soit l’une, soit l’autre. Il étudiait avec ardeur les sciences de la guerre et de la construction navale, et, s’il ne sentait qu’un faible attrait pour les mathématiques, il se familiarisait du moins à un rare degré avec les arts mécaniques. Il existe dans une des salles du palais de St-Christophe un petit vaisseau de ligne construit et armé de ses propres mains, miniature qui réellement suppose beaucoup de connaissances et beaucoup de dextérité, même chez un prince dont on facilita toujours les travaux. Parfois il sculptait : la statue qui orne la proue du vaisseau le Dom Pedro est son ouvrage. Il devint habile musicien, apprit a jouer de presque tous les instruments et commença fort jeune à composer des morceaux de musique qu’on exécutait à la chapelle du roi. Ce goût resta toujours une de ses passions, et nul doute que, né dans une condition privée, elle n’eût décidé de sa vocation. Il se livrant avec non moins de succès aux exercices du corps, à la chasse, qui, comme on le sait, n’est pas un jeu dans les vastes solitudes du Brésil. Il acquit par de tels moyens une haute taille et une vigueur peu commune. Sous d’autres rapports, il y eût eu sans doute beaucoup à désirer et à reprendre dans Pedro : il n’avait pas la politesse qui donne tant de prix à la supériorité des talents, et trop plein de la lecture rapide de quelques philosophes modernes, entre autres de Filangieri, il n’avait pas assez puisé la séve iãui féconde et la sagesse qui tempère dans l’étude fondamentale des grands penseurs des 16e et 17e siècles et de l’antiquité. Ses idées en politique, en économie sociale étaient superficielles, insuffisantes comme trop longtemps l’a été le libéralisme, et il les énonçait de façon à les rendre peu plausibles et fort blessantes. Il achevait ainsi de gâter ou de rendre inacceptable ce qu’elles pouvaient avoir d’utile, et il s’aliénait beaucoup de monde à la cour, qui, en général, à l’exemple de sa mère, lui préférait dom Miguel, plus jeune de quatre ans. Le faible Jean VI lui-même, malgré ses griefs contre Charlotte-Joachime, partageait les préventions de ses entours. La mort de Marie (mars 1816) venait enfin de lui donner le sceptre. Pedro aurait aimé à exercer dès lors quelque influence, et il eût été d’une sage politique de mettre à profit en les disciplinant les généreuses dispositions de l’héritier de la couronne. Un prince éclairé, actif lui-même et sachant exercer de l’ascendant en eut sans peine tiré parti, et le père comme le fils, le pays comme le gouvernement y eussent gagné. Mais tel n’était pas le mélancolique et défiant Jean VI : apathique, il voyait avec défaveur ce besoin de mouvement,