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venir de ses faiblesses (voy. PASTRENGO). L’amant de Laure était profondément religieux, et parmi les habitudes d’une vie simple et studieuse, on raconte qu’il se levait régulièrement à minuit pour puer. Bien supérieur au pédantisme qui s’attacha longtemps encore à la science, ce grand homme fut aussi un homme aimable. Sa conversation était confiante et animée, ses manières franches et polies. Son âme ardente, mais ouverte à toutes les affections douces, appelait l’amitié comme un besoin : Pétrarque eut beaucoup d’amis, et tous paraissent lui avoir été fidèles. Tous durent beaucoup à la double autorité de ses conseils et de ses exemples. Boccace, dont il fut le bienfaiteur (voy. Boccace) et qui n’avait presque été jusque-là qu’un homme de plaisir, devint irréprochable pour la gravité de ses mœurs. Acciaiuoli, grand sénéchal de Naples, était brouillé avec un autre ami de Pétrarque : il leur écrit à tous les deux ensemble une lettre qui ne devait être ouverte et lue qu’en commun : ils s’embrassent et se quittent réconciliés. C’est par ses amis que Pétrarque exerçait une sorte de dictature littéraire en France, en Espagne, en Angleterre, en Italie ; c’est par ses amis qu’il put entretenir cette correspondance européenne qui réchauffait partout l’élude et l’admiration des anciens. Ce long triomphe, à peine troublé par quelques clameurs, qui dura depuis son couronnement jusqu’à sa mort, les honneurs rendus par toute l’Italie à sa mémoire imprimèrent un mouvement général aux esprits. Il représentait à lui seul toute la république des lettres, et sa vie est une grande époque dans leur histoire. L’élévation de son caractère les fit respecter des grands ; ses écrits contribuèrent puissamment à les purifier du bizarre alliage dont l’ignorance les avait souillées. Il poursuivit avec persévérance l’alchimie, l’astrologie, la scolastique, et cet Aristote devant lequel la philosophie se taisait, et son interprète Averroès, qui régnait encore plus qu’Aristote. Dans le temps même où, par ses conseils, Galéas Visconti fondait l’université de Pavie, il dirigeait lui-même les études et assurait l’avenir de Malpighino, célèbre depuis parmi les restaurateurs des lettres sous le nom de Jean de Ravenne. Ses lettres De scriptis veterum indagendis et De libris Ciceronis attestent les recherches auxquelles il se livrait pour recouvrer les manuscrits des anciens, qu’il copiait ensuite de sa propre main, n’osant les confier à l’ignorance des scribes vulgaires. C’est ainsi qu’il rendit au monde littéraire les Institutions littéraires de Quintilien, mais incomplètes et mutilées, et les lettres de Cicéron dont le manuscrit est conservé dans la bibliothèque Laurentienne à Florence avec la copie qu’il en avait faite. Il a également sauvé quelques-unes de ses oraisons qui s’étaient perdues, et l’on sait qu’il avait conservé le fameux traité De gloria ; mais l’ayant prêté à son maître Convennole, ce vieillard le vendit pour vivre, et Pétrarque fit de vaines

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investigations pour le retrouver (voy. CONVENNOLE), ainsi que les Antiquités de Varron, qu’il avait vues dans sa jeunesse avec un livre de lettres et d’épigrammes attribuées à Auguste. Ce fut encore lui qui fit connaître Sophocle en Italie, et son avidité pour les manuscrits était si généralement publique, qu’il reçut de Constantinople une copie complète des poèmes d’Homère, sans l’avoir demandée. Après le don qu’il avait fait à Venise, il n’avait pas tardé à se composer une seconde bibliothèque. Dans un siècle où la chronologie et la géographie étaient encore à naître, il y avait rassemblé une collection chronologique des médailles impériales et un assez grand nombre de cartes géographiques. Il était lui-même l’auteur d’une carte d’Italie que l’on consultait encore un siècle après, et tous ses biographes ont raconté ses recherches sur l’île de Thulé. Son nom, inséparable de ceux de Dante et de Boccace, suffirait seul pour réfuter l’assertion trop souvent répétée que la renaissance des lettres n’est due qu’à la prise de Constantinople en 1453. Il est vrai que le reste de l’Europe n’offrait point d’hommes qui pussent atteindre à cet éclat de renommée. La France, qui avait eu par ses troubadours la plus ancienne des littératures modernes, citait à peine quelques érudits, comme Nicolas Oresme, qui s’honorait de l’estime de Pétrarque, mais qui est plus connu par ses traductions et par un discours où il dénonçait au pape lui-même les scandales de la cour pontificale et Pierre Berchoire, auteur d’une espèce d’encyclopédie rédigée dans l’esprit et dans le style de l’école et qu’il parait avoir composée à Avignon. Le roi Jean et surtout après lui Charles V rassemblaient les premiers volumes de la bibliothèque royale, et Froissart, qui devait faire plus d’honneur à notre littérature par son histoire simple et naïve, commençait sous ce prince la chaîne des poëtes français qui ne devait plus être interrompue. Les louanges de Laure répandirent parmi nos dames le goût de la poésie italienne. Une entre autres, dont le nom illustre s’est encore distingué de nos jours dans les lettres, Justine de Lévis, adressa un sonnet à Pétrarque, et le poète encouragea ses essais. Chaucer, qui allait fonder une littérature en Angleterre, le vit en Italie et lui dut peut-être la connaissance de Boccace, qu’il a tant imité dans ses ouvrages. Un autre Anglais, Richard de Bury, l’un des correspondants de Pétrarque, créait la bibliothèque d’Oxford et répandait le goût des livres dans sa patrie. L’Espagne n’avait encore que ses premières romances historiques et quelques théologiens. Deus siècles après, le chantre de Laure devait avoir un imitateur à la cour de Castille (voy. BOSCAN) dans le même temps où Bembo, Tarsia, Molza et tant d’autres ouvraient en Italie la dangereuse école des Pétrarquistes. Les Lettres de Pétrarque sont aujourd’hui la partie la plus curieuse de ses œuvres latines : elles ont été imprimées pour la première fois en 1484, sans