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nom de lieu. Ces lettres, qu’il n’écrivait pas exclusivement pour ses amis, offrent de précieux détails sur sa vie, comme sur les mœurs et sur l’histoire littéraire et politique du 14e siècle. La cour d’Avignon n’y est point ménagée, et l’auteur était trop bon Italien pour n’être pas tenté de charger un peu ses portraits. Son expression a du feu, mais elle n’est pas toujours naturelle, et sa prose trahit souvent le poète. Ses livres de philosophie morale ne ressemblent pas mal à ces lieux communs traités par les rhéteurs grecs du moyen âge. Celui qu’il a intitulé Remèdes contre l’une et l’autre fortune, composé à Garigniano pour consoler Azon de Corrége, démontre longuement que tous les biens terrestres sont périssables et qu’il n’est point de maux sans remèdes (1) [1]. Le traité De otio religiosorum fut un tribut de complaisance pour les chartreux de Montrieu, dont son frère avait pris l’habit (2) [2], et ce fut encore pour céder aux importunités de François de Carrare qu’il rassembla dans un cadre étroit les principales maximes de Platon et de Cicéron sur la politique, sous un titre qui aurait pu convenir à une composition plus étendue : De republica optime administranda. Il a été imprimé séparément avec son traité De officio et virtutibus imperatoria, Berne, 1602, in-12. Ces deux opuscules, effacés depuis par tant d’autres productions supérieures, sont l’ouvrage d’un esprit judicieux, qui ne flattait pas les puissances et qui estimait les hommes. Il écrivait aussi dans sa retraite d’Arqua un ouvrage vraiment philosophique contre les disciples d’Aristote, sous cette dénomination piquante : De ignorantia sui ipsius et multorum. Ses essais historiques, dont il nous a conservé des fragments (Rerum memorandarum libri 4), offrent, à côté des faits qu’il emprunte aux historiens, quelques particularités qui appartenaient à l’histoire contemporaine et qu’on ne retrouve pas ailleurs. La lecture des Confessions de St-Augustin lui inspira une composition singulière : ce sont les trois dialogues De contemptu mundi, les mêmes qu’il appelait son secret. L’auteur s’entretient avec St-Augustin sur son caractère, sur ses goûts, sur ses faiblesses : il s’accuse avec la naïveté d’un enfant, et St-Augustin le prêche avec une autorité pleine de douceur. Les harangues de Pétrarque ne sont pas toujours exemptes de déclamation ; ses poésies latines méritent davantage l’attention des gens de lettres. On a comparé son poème de l’Afrique à ces tableaux et à ces statues, productions de l’enfance de l’art, Oui n’en augmentent pas la gloire, mais que l’on n’examine

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pas sans fruit quand on veut en étudier les progrès. C’est un récit détaillé, mais presque toujours froid et sans couleur, de la deuxième guerre punique (1) [3]. Il ne parait pas qu’il ait été achevé. Le poète manque surtout d’invention, et l’on s’étonne qu’il n’ait pas été mieux inspiré par la poésie de Virgile. Ses douze églogues sont, comme celles de Boccace, des allégories presque toujours satiriques qui correspondent à des événements contemporains. La dixième est consacrée à la mémoire de Laure. On trouve quelques détails heureux dans ses trois livres d’Epîtres, versifiées avec plus de facilité qu’on ne devait en attendre de ce siècle de fer. La diction latine de Pétrarque, généralement très-supérieure au latin plat et informe de ses contemporains, est encore loin toutefois de celle de ses modèles. Son style est habituellement ferme sans être dur, et il ne manque quelquefois ni d’élégance ni d’énergie ; mais il rappelle plus souvent St-Angustin que Cicéron. C’était toutefois sur ses œuvres latines que Pétrarque fondait ses droits à la renommée. Cette erreur fut aussi celle de Boccace, et l’on a peine à expliquer ces méprises du génie, qui méconnaît lui-même sa gloire. - Le plus beau titre de Pétrarque est sans contredit son Canzoniere. C’est là que cette âme poétique se montre véritablement inspirée ; c’est là qu’elle répand avec profusion toutes les richesses d’un talent original. Les anciens poètes érotiques avaient été les chantres du plaisir plus que les chantres de l’amour. Ce respect pour les femmes, si ancien, si exalté chez tous les peuples du Nord ; ce culte de la beauté, encore ennobli par les souvenirs alors récents de la chevalerie ; ces fêtes de la valeur, qui étaient des jours de triomphe pour les dames, tout cela manquait aux sociétés païennes. Pétrarque ne ressemble qu’à lui-même, parce que sa passion ne ressemblait à rien de ce que les anciens avaient connu. Les premiers chants des troubadours avaient été l’expression naïve des mœurs chevaleresques. Les exemples qu’ils avaient offerts, les traditions qu’ils avaient laissées, comme aussi les malheureux raffinements des Italiens, leurs imitateurs, et les oiseuses subtilités des cours d’amour, triste parodie des formes et trop souvent des obscurités de l’école, avaient créé parmi les modernes un langage auquel la rime ajoutait ses entraves, un langage qui n’était plus le langage vulgaire, mais qui n’est pas encore de la poésie. L’amant de Laure y ajouta tout ce que la supériorité de son génie lui avait appris. Nous avons vu qu’il avait étudié Platon ; mais son âme toute seule aurait deviné le disciple de Socrate, et d’ailleurs cette union des âmes, que le philosophe avait quelquefois rêvée, est aussi loin du sentiment qui inspirait Pétrarque que les moeurs domesti-

  1. (1) De Gérando a traduit quelques fragments de ce bizarre dialogue dans les Archives littéraires (t. 2, p. 269-285), sous ce titre : De la philosophie de Pétrarque.
  2. (2) Plusieurs biographes ont donné à Pétrarque une sœur qu’ils disent avoir été aimée du pape Benoit XII. Cette fable, accueillie par les protestants, trop légèrement répétée par l’historien Villaret et même par Fleury, est réfutée par un fait qu’il n’est plus permis de contester : Pétrarque n’a point eu de sœur.
  3. (l) Le poème de l’Africa est l’objet d’une analyse étendue dan. l’Histoire des langues romanes, par M. Bruce-White, t. 3, p. 413-477.