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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/240

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sin : ce fut véritablement là sa première école, et la source où il puisa, suivant Bellori, le lait de la peinture et la vie de l’expression. Malheureusement, ayant cédé par reconnaissance aux promesses de son jeune protecteur, il l’accompagna dans le Poitou ; mais la mère du gentilhomme ne vit dans le peintre qu’un pur domestique, et, au lieu de travaux d’embellissement, le Poussin fut chargé par la dame des soins économiques du château. Dégoûté de cet emploi, il repartit en parcourant la province. Il peignit des paysages pour le château de Clisson, une Bacchanale pour le château du comte de Cheverny (1616-1620), et un St-François et un St-Charles Borromée pour les capucins de Blois. À son arrivée à Paris, une maladie de fatigue et d’épuisement l’ayant rappelé dans sa ville natale pour s’y rétablir, il ne reprit le chemin de la capitale qu’avec le projet d’aller à Rome se perfectionner. il tenta vainement deux fois ce voyage. La première fois, il parvint jusqu’à Florence ; mais c’était probablement avant les préparatifs ordonnés en 1620 par Côme II pour les fiançailles du jeune duc, époque à laquelle il eût pu être occupé à Florence avec Jacques Stella, qui n’y vint point antérieurement, comme le suppose Papillon de la Ferté. La deuxième fois, il ne dépassa pas Lyon, où, après avoir abandonné gaiement à la Fortune, comme il le disait, son dernier écu, il resta jusqu’à ce qu’il eût acquitté en tableaux une dette contractée avec un marchand. Ce fut à son retour de Florence que, logeant à Paris, au collége de Laon, il connut Philippe de Champaigne, qui vint y demeurer et qui profita de ses conseils après avoir quitté l’atelier de Lallemand. Ils furent employés ensemble sous un sieur Duchesne, autre artiste médiocre, chargé de diriger les travaux de peinture au Luxembourg. Mais la médiocrité jalouse ne les occupa guère l’un et l’autre, et surtout le premier, qu’à de petits ouvrages secondaires, ce qui laissait à peine percer le mérite du Poussin. Ce grand peintre était destiné à ne devoir son élévation qu’à lui-même. Après son voyage de Lyon, ayant concouru en 1623 pour une suite de tableaux commandés par le collége des jésuites à propos de la canonisation de leur fondateur, la grande habitude qu’il avait acquise dans la peinture en détrempe lui fit produire en moins d’une semaine six tableaux, qui, sans être terminés dans les détails, furent préférés pour la grandeur des conceptions et la vivacité des expressions à ceux de ses concurrents. Ces peintures, où déjà brillait le génie poétique, attirèrent les regards du cavalier Marini, qui lui offrit un logement et l’occupa aux dessins de sujets tirés de son poëme d’Adonis. Quel que fût le dessein du Poussin de suivre Marini, qui retournait à Rome et eût voulu l’emmener, il crut devoir terminer auparavant pour la corporation des orfévres un tableau de la Mort de la Vierge, destiné à l’église Notre-Dame de Paris. Enfin il entreprit pour la troisième fois le voyage de Rome, où il arriva au printemps de 1624. Poussin rejoignit à Rome Marini, mais ne put jouir longtemps du plaisir de visiter les monuments avec son ami. Le poëte en partant pour Naples, où il mourut, le recommanda, par l’entremise de Marcello Sacchetti, aux bonnes grâces du cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII. Mais, par un nouveau contre-temps, le prompt départ du cardinal pour ses légations de France et d’Espagne, laissa le Poussin à lui-même, et la protection du légat lui valut seulement l’entrée du musée Barberin. Ainsi, l’homme de génie qui avait été présenté à la cour du prélat comme ayant una furia di diavolo fut contraint de donner deux tableaux de batailles pour quelques écus. La copie d’un Prophète, qu’il avait peint pour une très-modique somme, fut vendue par un artiste du pays à un prix double de l’original. Cependant, tandis que l’école du Guide, branche bâtarde de celle des Carrache, et qui ne s’est que trop longtemps propagée en Italie et en France, remplaçait l’école d’Annibal par de faux agréments ou une brillante facilité, et proscrivait son plus digne rejeton, Poussin, associé par l’infortune au sculpteur flamand François Duquesnoy, allait avec lui étudier les antiques et les modeler pour en enrichir ses tableaux : il se préparait à venger le Dominiquin. L’Algarde, ami du Flamand, devint probablement celui du peintre français, qui a pu mesurer avec cet ami la statue d’Antinoüs, suivant ce que rapporte Félibien d’après un mémoire de Jean Dughet, sans qu’il faille induire d’une erreur de Bellori à ce sujet que les dessins donnés par celui-ci des mesures de cette statue soient inexacts. Poussin dut étudier surtout les belles formes d’enfants avec Duquesnoy, qui a excellé à cet égard dans ses figures entières comme l’Algarde dans ses bas-reliefs. L’un et l’autre cherchaient le bon goût de l’antique, en y associant quelquefois ou y ramenant les formes de la nature et celles même de l’art, d’après les conseils du Poussin. C’est dans cette vue qu’il considérait avec eux à la villa Ludovisi les Jeux d’enfants au d’Amour du Titien, meilleur coloriste que dessinateur, sans les prendre servilement pour modèles. Il estimait beaucoup le faire de ce grand peintre, de même que sa manière de toucher le paysage, dont il a sans doute profité. Il craignait trop, disait-il, que le charme du coloris lui fît oublier ou négliger la pureté du dessin. Il s’attacha principalement aux beautés expressives, conçues comme l’objet particulier et général du dessin, et comme peignant par un trait vif et précis le langage de la pensée et du sentiment. De là cette disposition à rechercher dans l’antique ce beau idéal ou intellectuel et en même temps moral qui le portait à l’étude des sujets historiques les plus propres aux développements nobles et expressifs de la composition