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de dévouement dont il avait été témoin dans cette hideuse et sanglante journée, et des remerciments lui furent votés par J.-B. Louvet, au nom de la patrie. Boissy d’Anglas a souvent raconté à sa famille et à ses amis qu’un jeune homme assez proprement mis s’était, au plus fort de l’émeute, approché de lui, et lui avait dit ironiquement et à voix basse : « Eh bien, monsieur de Boissy, croyez-vous que ce peuple mérite la liberté que vous vouliez lui donner ? » Boissy allait répondre, mais l’inconnu avait déjà disparu, et depuis il n’en a plus entendu parler. La France et l’Europe admirèrent la vertu héroïque de Boissy d’Anglas, et ce courage civil qui s’élève bien au-dessus du courage guerrier. « Rien ne peut être placé (disait à la chambre des pairs M. le marquis de Pastoret en 1827), même dans la vie d’un tel homme, à côté d’une si grande action, si grande par ses résultats et par tout ce qu’elle suppose d’intrépidité. » Boissy d’Anglas continua de monter souvent à la tribune. Il avait été nommé rapporteur de la commission des onze, chargé de présenter un nouveau projet de constitution. Le 25 juin 1795 (5 messidor an 5), il fit son rapport, qui fut imprimé sous le titre de Discours préliminaire au projet de constitution (in-8° de 65 p.), et réimprimé en tête du projet. Ce discours était ainsi terminé :

« Si le peuple se livre
« encore au démagogisme féroce et grossier, s’il
« prend encore des Marat pour ses amis, des Fou-
« quier pour ses magistrats, des Chaumette pour ses
« municipaux, des Henriot pour ses généraux, des
« Vincent et des Ronsin pour ses ministres, des
« Robespierre et des Chalier pour ses idoles ; si
« même, sans faire des choix aussi infâmes, il n’en
« fait que de médiocres, s’il n’élit pas exclusivement
« de vrais et francs républicains, alors, nous vous le
« déclarons solennellement, et à la France entière qui
« nous écoute, tout est perdu : le royalisme reprend
« son audace, le terrorisme ses poignards, le fana-
« tisme ses torches incendiaires, l’intrigue ses espé-
« rances, la coalition ses plans destructeurs ; la liberté
« est anéantie, la république renversée, la vertu n’a
« plus pour elle que le désespoir et la mort, et il ne
« vous reste plus à vous-mêmes qu’à choisir entre
« l’échafaud de Sidney, la ciguë de Socrate ou le
« glaive de Caton. »

Les applaudissements les plus vifs furent donnés à l’orateur. La convention décréta l’envoi de ce discours à toutes les communes de la république et aux armées. Dix jours après (3 juillet), Boissy entra une seconde fois au comité de salut public ; le lendemain, la discussion s’ouvrit sur le projet de constitution. Lanjuinais, Daunou, Cambacérès, Grégoire, d’autres encore parlèrent sur la rédaction de la déclaration des droits. Dans les séances suivantes, Thomas Payne, Laréveillère-l’Épaux, Berlier, Eschasseriaux, Dubois-Crancé, Defermon, Jean Debry, Thibaudeau, et un grand nombre d’autres prirent part à la discussion, qui se prolongea pendant près de deux mois, et dans laquelle Boissy-d’Anglas fut souvent entendu. Le 15 août, la déclaration des droits et celle des devoirs furent adoptées. Le 14, Boissy fit décréter les articles constitutionnels qu’il

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avait présentés sur les colonies (1)[1]. Enfin, le 17 août on acheva la lecture de tous les articles de la constitution, et le vote définitif de l’adoption fut longtemps suivi des cris de vive la république ! Tel fut, au milieu de troubles incessants, du procès de l’exécrable Joseph Lebon, du décret d’arrestation de dix autres députés (2)[2], du déplorable événement de Quiberon, de l’emprunt d’un milliard, tel fut l’enfantement pénible de cette constitution dite de l’an 5. Elle établit le directoire exécutif, les deux conseils des cinq-cents et des anciens ; et, après quelques années de complots, de discorde au dedans et d’une gloire extérieure par les armes, qui avait pâli en 1799, elle traîna la république jusqu’à la fameuse révolution du 18 brumaire, où elle périt par le sabre d’un soldat. - Pendant la discussion des articles de son projet de constitution, Boissy fit (19 juillet) une motion d’ordre sur les mouvements qui avaient lieu à Paris, et il les attribua au cabinet de Londres, qui usait, dit-il, de ses dernières ressources. Il l’accusa encore d’avoir provoqué les crimes de prairial, dirigé les massacres dans le Midi ; et il s’écria : « Non, vous ne voulez point rétablir la terreur ! » (Vifs applaudissements ; et Legendre lui-même dit d’une voix forte : « Pas plus de terreur que de roi ! pas plus de roi que de jacobins ! ») Boissy reprit son discours, et fit adopter un décret portant que les comités de gouvernement présenteraient un rapport sur la situation de Paris, et qu’il serait fait une adresse à ses habitants pour les éclairer sur les pièges dont on les environnait. Cette adresse fut rédigée par Chénier, et la convention ordonna l’envoi du rapport et de l’adresse aux départements et aux armées. Le 12 août, parlant au nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législation, Boissy avait fait adopter l’ordre du jour sur la proposition d’ordonner la clôture des assemblées générales des quarante-huit sections de Paris, qui remplissaient une partie des fonctions municipales. Ce fut une faute : bientôt après, la plupart de ces sections marchèrent en armes contre la convention et, dans la fameuse journée du 13 vendémiaire, la république, telle que Boissy d’Anglas la voulait, fut gravement compromise. Il avait communiqué la ratification donnée par le roi de Prusse au traité de Bâle, et démenti le bruit que la république dût abandonner à ce monarque les places fortes de la Batavie et de la Zélande ; il avait fait ordonner au comité de sûreté générale de rendre compte, sous vingt-quatre heures, de l’exécution du décret pour la mise en jugement de l’ex-ministre Bouchotte, de l’ex-maire de Paris Pache, et de l’ex-général en chef dans la Vendée Rossignol ; il avait défendu Massieu, Fouché, Cavaignac, et demandé que la convention se bornât à examiner les dénonciations portées contre Hentz, Noël-Pointe et Francastel. Enfin, depuis 1789, la France n’a point eu

(1) Boissy avait fait, à la séance du 3 août, un rapport sur les moyens de rendre les colonies florissantes et libres. Il fit décréter qu’elles seraient régies par la nouvelle constitution et suivant les lois de la république.

(2) Lequinio, Laneau, Lebot, Dupin, Bô, Piorry, Massieu, Chaudron-Rousseau, Laplanche et Fouché de Nantes.


  1. (1) Boissy avait fait, à la séance du 3 août, un rapport sur les moyens de rendre les colonies florissantes et libres. Il fit décréter qu’elles seraient régies par la nouvelle constitution et suivant les lois de la république.
  2. (2) Lequinio, Laneau, Lebot, Dupin, Bô, Piorry, Massieu, Chaudron-Rousseau, Laplanche et Fouché de Nantes.