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COMME JADIS…


MINNIE À GÉRARD

Mon cousin, je reçois votre petite lettre triste. Je n’y réponds pas puisque vous avez eu la lettre incohérente faite de tous les brouillons, et celle à laquelle était jointe la photo de Minnie travestie en Herminie. Quel enfantillage ! Souvenez-vous que je suis un peu une sauvagesse… Je vous avoue avoir passé la robe à falbalas bien avant la séance de pose devant le kodak. Un soir la tentation de la moire glacée fut trop forte… Toute frémissante de mon audace, j’ai lu, ainsi parée, le Roman d’antan… Je deviens ridiculement romanesque. J’ai des pitiés stupides pour un poulet écrasé, le chagrin d’un veau séparé de sa mère me jette dans une commisération idiote. Moquez-vous !


Je voudrais un printemps hâtif qui me rendrait à mon activité. Nous n’aurons pas le dégel avant plusieurs semaines, cependant les mottes de terre noire commencent à percer sous la couche mince de neige, qui recouvre les buttes. J’attends. Ma vraie vie c’est la vie au plein air. Je m’impose durant l’hiver certains travaux d’intérieur ; parfois il me semble que l’accablement m’endort du même sommeil léthargique que celui où sont plongés les champs depuis des mois. Le premier triangle de canards sauvages, je le guette. C’est moi qui le signale, chaque année, dans le ciel clair encore