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PRÉFACE DE 1869.

liques. Tout ce que j’accumulais (sans y songer, sans le vouloir), ces faits certains, innombrables, ces montagnes de vérités qui, dans mon travail persistant, montaient, s’exhaussaient chaque jour, tout cela se trouvait contre eux. Nul d’entre eux n’eût pu deviner la solide, la profonde base que j’y trouvais, telle que je n’avais ni besoin, ni idée de polémique. Ma force me faisait ma paix. Il leur eût fallu dix mille ans pour comprendre que ce qui leur semblait faiblesse, le doux sens humain, pacifique, qui allait croissant en moi, était justement ma force et ce qui m’éloignait d’eux[1].

Les salons demi-catholiques, bâtards, dans la fade atmosphère des amis de Chateaubriand, auraient été pour moi peut-être un piège plus dangereux. Le bon et aimable Ballanche, puis M. de Lamartine, plusieurs

  1. Comme ils odorent très-bien la mort, les moments où l’âme blessée peut mollir, au moment où j’avais fait une perte sensible de famille, un d’eux, séduisant et fin, vint me voir et me tâta. Je fus surpris, confondu de l’idée qu’il eût pu croire avoir quelque prise sur moi, qu’il dît qu’on pouvait s’entendre, ayant entre soi des nuances, etc. Je lui dis ces propres paroles : « Monseigneur, avez-vous été parfois sur la mer de glace ? — Oui. — Vous avez vu telle fente, sur laquelle d’un bord à l’autre on peut parler, converser ? — Oui. — Mais vous n’avez pas vu que cette fente est un abîme… Et telle, Monseigneur, si profonde, qu’à travers la glace et la terre, elle descend sans que jamais on en ait trouvé le fond. Elle va jusqu’au centre du globe, s’en va traversant le globe, et se perd dans l’infini. »