Page:Michelet - La femme.djvu/292

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Pour revenir à celle-ci, qui ne court pas les rues la nuit, la voilà pour la première fois seule dans sa nouvelle maison, en présence de sa pensée. Elle se recueille religieusement. Elle couve ce prodigieux rêve, et s’en reproduit les détails. Elle revient à son mari, si tendre, si généreux, si bon ; et ses yeux en sont moites. Elle repasse sa douceur, sa patience, son infinie délicatesse, telle mystérieuse circonstance, et elle rougit… Parfois, il lui vient en esprit que tout cela est une illusion, un songe, et elle a peur de s’éveiller. Mais non, le doute est impossible. Un signe fort sensible le lui rappelle assez, un signe qui ne passera pas : « Tant mieux ! c’est pour toujours, dit-elle (ce pénétrant bonheur, aiguillonné d’épines, lui parle de moment en moment)… Tant mieux ! je suis sa chose, marquée de son amour… C’est fait… Dieu n’y pourrait plus rien. »

Si fière avant ! et si digne toujours ! Elle est femme pourtant, elle est tendre, elle s’attache parce qu’elle souffre, veut appartenir et dépendre ; elle savoure solitairement les humilités de la passion. Si les épines durent, elle s’exalte encore plus par la difficulté et le devoir. C’est comme la mère blessée en allaitant, et qui veut allaiter. Un étrange combat se fait, où celui qui désire résiste au dévouement. S’il est fort, magnanime, s’il se prive, à force