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NAISSANCE. — RETOUR DE LA NOURRICE.

une bonne paysanne des bords de l’Aveyron. Deux aînés m’avaient précédée, tous deux nés en Amérique et d’autant plus chers. Ma sœur avait six ans de plus que moi, mon frère trois. Ces jolis enfants admirés, qui paraient si bien ma mère, auraient peut-être suffi à son bonheur. Je naquis peu désirée ; on ne se pressa pas de me retirer de nourrice. J’y restai jusqu’à quatre ans, et dans ce long intervalle, deux garçons s’avisèrent de naître, eurent de mauvaises nourrices et revinrent à la maison. Elle était pleine cette maison quand on se souvint de moi et qu’on m’y fit rentrer.

Assise sur ma petite chaise, j’avais déjà ma tâche. Le travail fut à peu près tout le jeu de mon enfance ; j’appris à coudre, à tricoter ; de bonne heure j’ourlais mes chemises. La couture me retenait forcément sous l’œil de ma mère. J’étais toute maladroite de me sentir observée. Les points de mes ourlets ne venaient pas se placer tout uniment à la suite ; il me fallait souvent défaire. Ma récréation y passait. J’aimais mieux le tricot qui me laissait libre et me semblait un amusement par le jeu rapide des aiguilles. Du moins avec mon petit bas à la