Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 1.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
MONDE GERMANIQUE

Du jour où, selon la belle formule germanique, le wargus a jeté la poussière sur tous ses parents, et lancé l’herbe par-dessus son épaule, où s’appuyant sur son bâton, il a sauté la petite enceinte de son champ, alors, qu’il laisse aller la plume au vent[1], qu’il délibère, comme Attila, s’il attaquera l’Empire d’Orient ou celui d’Occident[2] : à lui l’espoir, à lui le monde !

C’est de cet état d’immense poésie que sortit l’idéal germanique, le Sigurd scandinave, le Siegfried ou le Dietrich von Bern de l’Allemagne. Dans cette figure colossale est réuni ce que la Grèce a divisé, la force héroïque et l’instinct voyageur, Achille et Ulysse : Siegfried parcourut bien des contrées par la force de son bras[3]. Mais ici l’homme rusé, tant loué des Grecs, est maudit dans le perfide Hagen, meurtrier de Siegfried, Hagen à la face pâle et qui n’a qu’un œil, dans le nain monstrueux qui a fouillé les entrailles de la terre, qui sait tout, et qui ne veut que le mal. La conquête du Nord, c’est Sigurd ; celle du Midi, c’est Dietrich von Bern (Théodoric de Vérone ?). La silencieuse ville de Ravenne garde, à côté du tombeau de Dante, le tombeau de Théodoric, immense rotonde dont le dôme d’une seule pierre semble avoir été posé là par la main des géants. Voilà peut-être le seul monument

  1. Voy. les formules d’initiation du compagnonnage allemand dans mon Introduction à l’Histoire universelle.
  2. Priscus.
  3. Niebelungen, 87. — Il semble que, dans ses admirables compositions, Cornélius ait eu sous les yeux les Niebelungen allemands plus que l’Edda et les Sagas scandinaves.