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HISTOIRE DE FRANCE

Le livre de Dante est bizarre. Sa formule, c’est la paix, comme condition du développement, la paix sous un monarque unique. Ce monarque, possédant tout, ne peut rien désirer, et partant, il est impeccable. Ce qui fait le mal, c’est la concupiscence ; où il n’y a plus limite, que désirer ? quelle concupiscence peut naître[1] ? tel est le raisonnement de Dante. Reste à prouver que cet idéal peut être réel, que ce réel est le peuple romain[2] ; qu’enfin le peuple romain a transmis sa souveraineté à l’empereur d’Allemagne.

Ce livre est une belle épitaphe gibeline pour l’Empire allemand : l’Empire en 1300, ce n’est plus exclusivement l’Allemagne : c’est désormais tout empire, toute royauté ; c’est le pouvoir civil en tout pays, surtout en France. Les deux adversaires sont maintenant l’Église et le fils aîné de l’Église. Des deux côtés, prétentions sans bornes : deux infinis en face. Le roi, s’il n’est pas le seul roi, est du moins le plus grand roi du monde ; le plus révéré encore depuis saint Louis. Fils aîné de l’Église, il veut être plus âgé que sa mère : « Avant qu’il n’y eût des clercs, dit-il, le roi avait en garde le royaume de France[3]. »

La querelle s’était déjà émue à l’occasion des biens d’Église ; mais il y avait d’autres motifs d’irritation.

  1. App. 15.
  2. Il le prouve : 1o par l’origine de Romulus, descendant tout à la fois d’Europe et d’Atlas (l’Afrique) ; 2o par les miracles que Dieu a faits pour Rome : ainsi les ancilia de Numa, les oies du Capitole, etc. ; 3o par la bonté que Rome a montrée au monde, en voulant bien le conquérir, etc.
  3. « Antequam essent clerici, rex Franciæ habebat custodiam regni sui, et poterat statuta facere. »