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HISTOIRE DE FRANCE

rendait la guerre plus cruelle qu’on ne peut se le figurer. Nul moyen de s’entendre, de se rapprocher. Le vaincu qui ne peut parler se trouve sans ressource, le prisonnier sans moyen d’adoucir son maître. L’homme à terre voudrait en vain s’adresser à celui qui va l’égorger ; l’un dit grâce, l’autre répond mort.

Indépendamment de ces antipathies de langage et de race, dans une même race, dans une même langue, les provinces se haïssaient. Les Flamands, même de langue wallonne, détestaient les chaudes têtes picardes[1]. Les Picards méprisaient les habitudes régulières des Normands, qui leur paraissaient serviles[2]. Voilà pour la langue d’oil. Dans la langue d’oc, les gens du Poitou et de la Saintonge, haïs au Nord comme méridionaux, n’en ont pas moins fait des satires contre les gens du Midi, surtout contre les Gascons[3].

Au bout de cette échelle de haines, par delà Bordeaux et Toulouse, se trouve, au pied des Pyrénées, hors des routes et des rivières navigables, un petit pays dont le nom a résumé toutes les haines du Midi et du Nord. Ce nom tragique est celui d’Armagnac.

Rude pays, vineux, il est vrai, mais sous les grêles de la montagne, souvent fertile, souvent frappé. Ces gens d’Armagnac et de Fézenzac, moins pauvres que

  1. Monstrelet.
  2. Je lis dans une lettre de grâce que des Picards entendant parler d’une somme de 800 livres, que le capitaine de Gisors exigeait des Normands, disaient : « Se c’estoit en Picardie, l’en abateroit les maisons de ceulz qui se accorderoient de les paier. » (Archives, Trésor des chartes, Registre 148, 214 ; ann. 1395.)
  3. D’Aubigné, l’auteur du Baron de Feneste, était né en Saintonge, établi en Poitou.