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HISTOIRE DE FRANCE

effroyable. Dans ces années lugubres, c’est comme un cercle meurtrier : la guerre mène à la famine, et la famine à la peste ; celle-ci ramène la famine à son tour. On croit lire cette nuit de l’Exode où l’ange passe et repasse, touchant chaque maison de l’épée.

L’année des massacres de Paris (1418), la misère, l’effroi, le désespoir, amenèrent une épidémie qui enleva, dit-on, dans cette ville seule quatre-vingt mille âmes[1]. « Vers la fin de septembre, dit le témoin oculaire, dans sa naïveté terrible, on mouroit tant et si vite, qu’il falloit faire dans les cimetières de grandes fosses où on les mettoit par trente et quarante, arrangés comme lard, et à peine poudrés de terre. On ne rencontroit dans les rues que prêtres qui portoient Notre-Seigneur. »

En 1419, il n’y avait pas à récolter ; les laboureurs étaient morts ou en fuite : on avait peu semé, et ce peu fut ravagé. La cherté des vivres devint extrême. On espérait que les Anglais rétabliraient un peu d’ordre et de sécurité, et que les vivres deviendraient moins rares ; au contraire, il y eut famine. « Quand venoient huit heures, il y avoit si grande presse à la porte des boulangers, qu’il faut l’avoir vu pour le croire… Vous auriez entendu dans tout Paris des

  1. « Comme il fut trouvé par les curés des paroisses. » (Monstrelet.) — « Ceux qui faisoient les fosses… affermoient… qu’avoient enterré plus de cent mille personnes. » (Journal du Bourgeois de Paris.) Il a dit un peu plus haut que dans les cinq premières semaines il était mort cinquante mille personnes. À ces calculs fort suspects d’exagération, il en ajoute un qui semble mériter plus de confiance : « Les corduaniers comptèrent le jour de leur confrérie les morts de leur mestier… et trouvèrent qu’ils estoient trepassés bien dix-huit cents, tant maistres que varlets, en ces deux mois. »