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HISTOIRE DE FRANCE

Arrivé là, on ne pleure plus ; les larmes sont finies, ou parmi les larmes même éclatent de diaboliques joies, un rire sauvage… C’est le caractère le plus tragique du temps, que, dans les moments les plus sombres, il y ait des alternatives de gaieté frénétique.

Le commencement de cette longue suite de maux, « de cette douloureuse danse », comme dit le Bourgeois de Paris, c’est la folie de Charles VI, c’est le temps aussi de cette trop fameuse mascarade des satyres, des mystères pieusement burlesques, des farces de la Bazoche.

L’année de l’assassinat du duc d’Orléans a été signalée par l’organisation du corps des ménétriers. Cette corporation, tout à fait nécessaire sans doute dans une si joyeuse époque, était devenue importante et respectable. Les traités de paix se criaient dans les rues à grand renfort de violons ; il ne se passait guère six mois qu’il n’y eût une paix criée et chantée[1].

L’aîné des fils de Charles VI, le premier dauphin,

    suivre pour ces tristes années, le conseil que M. de Sismondi donne à l’historien avec un sentiment si profond de l’humanité :

    « Ne nous pressons pas ; lorsque le narrateur se presse, il donne une fausse idée de l’histoire… Ces années, si pauvres en vertus et en grands exemples, étaient tout aussi longues à passer pour les malheureux sujets du royaume que celles qui paraissent resplendissantes d’héroïsme. Pendant qu’elles s’écoulaient, les uns étaient affaissés par le progrès de l’âge ; les autres étaient remplacés par leurs enfants : la nation n’était déjà plus la même… Le lecteur ne s’aperçoit jamais de ce progrès du temps, s’il ne voit pas aussi comment ce temps a été rempli : la durée se proportionne toujours pour lui au nombre des faits qui lui sont présentés, et en quelque sorte, au nombre des pages qu’il parcourt. Il peut bien être averti que des années ont passé en silence, mais il ne le sent pas. »

  1. App. 226.