Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 4.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
339
MORT D’HENRI V ET DE CHARLES VI

était un joueur infatigable de harpe et d’épinette. Il avait force musiciens, et faisait venir encore, pour aider, les enfants de chœur de Notre-Dame. Il chantait, dansait et « balait », la nuit et le jour[1], et cela l’année des cabochiens, pendant qu’on lui tuait ses amis. Il se tua, lui aussi, à force de chanter et de danser.

Cette apparente gaieté, dans les moments les plus tristes, n’est pas un trait particulier de notre histoire. La chronique portugaise nous apprend que le roi D. Pedro, dans son terrible deuil d’Inès qui lui dura jusqu’à la mort, éprouvait un besoin étrange de danse et de musique. Il n’aimait plus que deux choses : les supplices et les concerts. Et ceux-ci, il les lui fallait étourdissants, violents, des instruments métalliques, dont la voix perçante prît tyranniquement le dessus, fît taire les voix du dedans et remuât le corps, comme d’un mouvement d’automate. Il avait tout exprès pour cela de longues trompettes d’argent. Quelquefois, quand il ne dormait pas, il prenait ses trompettes avec des torches, et il s’en allait dansant par les rues ; le peuple alors se levait aussi, et soit compassion, soit entraînement méridional, ils se mettaient à danser tous ensemble, peuple et roi, jusqu’à ce qu’il en eût assez, et que l’aube le ramenât épuisé à son palais[2].

Il paraît constant qu’au quatorzième siècle la danse devint, dans beaucoup de pays, involontaire et maniaque. Les violentes processions des Flagel-

  1. C’est ce que lui reprochaient tant les bouchers.
  2. Chroniques de l’Espagne et du Portugal. (Ferd. Denis.)