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MORT D’HENRI V ET DE CHARLES VI

un étage et des greniers, où l’on pendait demi-pourris les os que l’on tirait des fosses[1] ; car il y avait peu de place ; les morts ne reposaient guère ; dans cette terre vivante, un cadavre devenait squelette en neuf jours. Cependant tel était le torrent de matière morte qui passait et repassait, tel le dépôt qui en restait, qu’à l’époque où le cimetière fut détruit, le sol s’était exhaussé de huit pieds au-dessus des rues voisines[2]. De cette longue alluvion des siècles s’était formée une montagne de morts qui dominait les vivants.

Tel fut le digne théâtre de la danse macabre. On la commença en septembre 1424, lorsque les chaleurs avaient diminué, et que les premières pluies rendaient le lieu moins infect. Les représentations durèrent plusieurs mois.

Quelque dégoût que pussent inspirer et le lieu et le spectacle, c’était chose à faire réfléchir de voir, dans ce temps meurtrier, dans une ville si fréquemment, si durement visitée de la mort, cette foule famélique, maladive, à peine vivante, accepter joyeusement la Mort même pour spectacle, la contempler insatiablement dans ses moralités bouffonnes, et s’en amuser si bien qu’ils marchaient sans regarder sur les os de leurs pères, sur les fosses béantes qu’ils allaient remplir eux-mêmes.

Après tout, pourquoi n’auraient-ils pas ri, en attendant ? C’était la vraie fête de l’époque, sa comédie

  1. Le rez-de-chaussée extérieur, adossé à la galerie des tombeaux, et supportant les galetas où séchaient les os, était occupé par des boutiques de lingères, de marchandes de modes, d’écrivains, etc.
  2. App. 232.