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HISTOIRE DE FRANCE

naturelle, la danse des grands et des petits. Sans parler de ces millions d’hommes obscurs qui y avaient pris part en quelques années, n’était-ce pas une curieuse ronde qu’avaient menée les rois et les princes, Louis d’Orléans et Jean-sans-Peur, Henri V et Charles VI ! Quel jeu de la mort, quel malicieux passe-temps d’avoir approché ce victorieux Henri, à un mois près, de la couronne de France ! Au bout de toute une vie de travail, pour survivre à Charles VI, il lui manquait un petit mois seulement… Non ! pas un mois, pas un jour ! Et il ne mourra pas même en bataille ; il faut qu’il s’alite avec la dyssenterie et qu’il meure d’hémorroïdes[1].

Si l’on eût trouvé un peu dures ces dérisions de la Mort, elle eût eu de quoi répondre. Elle eût dit qu’à bien regarder, on verrait qu’elle n’avait guère tué que ceux qui ne vivaient plus. Le conquérant était mort, du moment que la conquête languit et ne put plus avancer ; Jean-sans-Peur, lorsqu’au bout de ses tergiversations, connu enfin des siens même, il se voyait à jamais avili et impuissant. Partis et chefs de partis, tous avaient désespéré. Les Armagnacs, frappés à Azincourt, frappés au massacre de Paris, l’étaient bien plus encore par leur crime de Montereau. Les cabochiens et les Bourguignons avaient été obligés de s’avouer qu’ils étaient dupes, que leur duc de

  1. Cette dérision de la mort frappa les contemporains. Un gentilhomme, messire Sarrazin d’Arles, voyant un de ses gens qui revenait du convoi d’Henri V, lui demanda si le roi « avoit point ses housseaux chaussés. — Ah ! mon seigneur, nenni, par ma foi ! — Bel ami, dit l’autre, jamais ne me crois, s’il les a laissés en France ! » (Monstrelet.)