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MORT D’HENRI V ET DE CHARLES VI

Bourgogne était l’ami des Anglais ; ils s’étaient vus forcés, eux qui s’étaient crus la France, de devenir Anglais eux-mêmes. Chacun survivait ainsi à son principe et à sa foi ; la mort morale, qui est la vraie, était au fond de tous les cœurs. Pour regarder la danse des morts, il ne restait que des morts.

Les Anglais même, les vainqueurs, à leur spectacle favori, ne pouvaient qu’être mornes et sombres. L’Angleterre, qui avait gagné à sa conquête d’avoir pour roi un enfant français par sa mère, avait bien l’air d’être morte, surtout s’il ressemblait à son grand-père Charles VI. Et pourtant en France cet enfant était Anglais, c’était Henri VI de Lancastre ; sa royauté était la mort nationale de la France même.

Lorsque, quelques années après, ce jeune roi anglo-français, ou plutôt ni l’un ni l’autre, fut amené dans Paris désert par le cardinal Winchester, le cortège passa devant l’hôtel Saint-Paul, où la reine Isabeau, veuve de Charles VI, était aux fenêtres. On dit à l’enfant royal que c’était sa grand’mère ; les deux ombres se regardèrent ; la pâle jeune figure ôta son chaperon et salua ; la vieille reine, de son côté, fit une humble révérence, mais, se détournant, elle se mit à pleurer[1].

  1. « Et tantost elle s’inclina vers lui moult humblement et se tourna d’autre part plorant. » (Journal du Bourgeois.)