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FOLIE DE CHARLES VI

de ce jeu, ces rois, ces dames, ces valets dans leur bal perpétuel, dans leurs indifférentes et rapides évolutions, devaient quelquefois faire songer. À force de les regarder, le pauvre fol solitaire pouvait y placer ses rêves ; le fol ? pourquoi pas le sage ?… N’y avait-il pas dans ces cartes de naïves images du temps ? N’était-ce pas un beau coup de cartes, et des plus soudains, de voir Bajazet l’Éclair, vainqueur à Nicopolis, quasi-maître de Constantinople, entrer dans une cage de fer ? N’en était-ce pas un de voir le gendre du roi de France, le magnifique Richard II, supplanté en quelques jours par l’exilé Bolingbroke ? Ce roi, en qui tout à l’heure il y avait dix millions d’hommes, le voilà qui est moins qu’un homme, un homme en peinture, roi de carreau…

Dans une des farces de la basoche que les petits clercs du palais jouaient sur la royale Table de marbre, figuraient comme personnages les temps d’un verbe latin : « Regno, regnavi, regnabo. » Pédantesque comédie, mais dont il était difficile de méconnaître le sens.

Dans l’ordonnance par laquelle Charles VI autorise ceux qui jouaient les Mystères de la Passion, il les appelle « ses amés et chers confrères[1] ». Quoi de plus juste, en effet ? Triste acteur lui-même, pauvre jongleur du grand Mystère historique, il allait voir ses confrères, saints, anges et diables, bouffonner tristement la Passion. Il n’était pas seulement spectateur,

  1. App. 54.