Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/107

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pieds de la reine. Cependant elle préparait une infâme et triste machine, par où elle reprit le roi, et le garda jusqu’à sa mort : un sérail, qu’on recrutait par des enfants achetées.

Là, s’éteignit Louis XV. Le dieu de chair abdiqua tout souvenir de l’esprit.

Fuyant Paris, fuyant son peuple, toujours isolé à Versailles, il y trouve trop d’hommes encore, trop de jour. Il lui faut l’ombre, les bois, la chasse, le secret de Trianon ou son couvent du Parc-aux-Cerfs. Chose étrange, inexplicable, que ces amours, ces ombres du moins, ces images de l’amour, ne puissent amollir son cœur ! Il achète les filles du peuple ; par elles il vit avec le peuple, il en reçoit les caresses enfantines, en prend le langage. Et il reste l’ennemi du peuple, dur, égoïste, sans entrailles ; de roi il se fait trafiquant de blé, spéculateur en famine…

Dans cette âme, si bien morte, une chose restait vivante : la peur de mourir. Sans cesse il parlait de mort, de convoi, de funérailles. Il pressentait souvent celles de la monarchie. Qu’elle vécût autant que lui, il n’en voulait pas davantage.

Dans une année de disette (elles n’étaient pas rares alors), il chassait, à son ordinaire, dans la forêt de Sénart. Il rencontre un paysan qui portait une bière, et demande : « Où portez-vous cela ? — À tel lieu. — Pour un homme ou une femme ! — Un homme. — De quoi est-il mort ? — De faim. »