Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/162

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d’aller seule, par l’élan des idées, sur la foi de la raison pure, sans idole et sans faux Dieu.

Le corps de la noblesse, qui se présentait comme dépositaire et gardien de notre gloire militaire, n’offrait aucun général célèbre. « C’étaient d’illustres obscurs que tous les grands seigneurs de France. » Un seul peut-être excitait l’intérêt, celui qui, malgré la cour, avait le premier pris part à la guerre d’Amérique, le jeune et blond La Fayette. Personne ne soupçonnait le rôle exagéré qu’allait lui donner la fortune.

Le Tiers, dans sa masse obscure, portait déjà la Convention. Mais qui aurait su la voir ? qui distinguait, dans cette foule d’avocats, la taille raide, la pâle figure de tel avocat d’Arras ?

Deux choses étaient remarquées, l’absence de Sieyès, la présence de Mirabeau.

Sieyès n’était pas venu encore ; on cherchait dans ce grand mouvement celui dont la sagacité singulière l’avait vu, formulé et calculé.

Mirabeau était présent, et il attirait tous les regards. Son immense chevelure, sa tête léonine, marquée d’une laideur puissante, étonnaient, effrayaient presque ; on n’en pouvait détacher les yeux. C’était un homme celui-là, visiblement, et les autres étaient des ombres ; un homme malheureusement de son temps et de sa classe, vicieux comme l’était la haute société du temps, scandaleux de plus, bruyant et courageux dans le vice : voilà ce qui l’avait perdu. Le monde était plein du roman de ses aventures,