Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/129

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du terrible événement qui se préparait et qui semblait infaillible, plusieurs voulaient l’accélérer par leur influence ; d’autres, au contraire, pensaient que, s’ils ne pouvaient rien empêcher comme corps et autorité publique, ils pourraient du moins, avec leur titre et leur écharpe de membre de la Commune, sauver des individus.

Cette écharpe tutélaire, Manuel eut le bonheur d’en faire usage à l’heure même. Il se rappela qu’il avait en prison un ennemi personnel, Beaumarchais. Manuel était une des victimes littéraires que l’auteur de Figaro aimait à cribler de ses flèches ; il l’avait percé, transpercé. Manuel court à l’Abbaye, se fait amener Beaumarchais. Celui-ci se trouble, s’excuse : « Il ne s’agit pas de cela, Monsieur, lui dit Manuel ; vous êtes mon ennemi ; si vous restez ici pour être égorgé demain, que pourra-t-on dire ? Que j’ai voulu me venger ?… Sortez d’ici et sur l’heure. » Beaumarchais tomba dans ses bras. Il était sauvé. Manuel ne le fut pas moins pour l’honneur et l’avenir.

Personne ne doutait du massacre. Robespierre, Tallien et autres firent réclamer aux prisons quelques prêtres, leurs anciens professeurs. Danton, Fabre d’Églantine, Fauchet, sauvèrent aussi quelques personnes.

Robespierre avait pris une responsabilité immense. Dans ce moment d’attente suprême, où la France roulait entre la vie et la mort, où elle cherchait une prise ferme qui l’assurât contre son propre vertige, Robespierre avait achevé de rendre tout incertain, flottant,