Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/152

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nationale n’intervînt pour arrêter l’effusion du sang ? Cela n’est pas invraisemblable.

Cependant, il n’est pas absolument nécessaire de recourir à cette hypothèse. Ils déclarèrent eux-mêmes, dans l’enquête, que les prisonniers les insultaient, les provoquaient tous les jours à travers les grilles, qu’ils les menaçaient de l’arrivée des Prussiens et des punitions qui les attendaient.

La plus cruelle, déjà on la ressentait : c’était la cessation absolue du commerce, les faillites, la fermeture des boutiques, la ruine et la faim, la mort de Paris. L’ouvrier supporte souvent mieux la faim que le boutiquier la faillite. Cela tient à bien des causes, à une surtout dont il faut tenir compte : c’est qu’en France la faillite n’est pas un simple malheur (comme en Angleterre et en Amérique), mais la perte de l’honneur. Faire honneur à ses affaires est un proverbe français et qui n’existe qu’en France. Le boutiquier en faillite, ici, devient très féroce.

Ces gens-là avaient attendu trois ans que la Révolution prît fin, ils avaient cru un moment que le roi la finirait en s’appuyant sur La Fayette. Qui l’en avait empêché, sinon les gens de cour, les prêtres qu’on tenait dans l’Abbaye ? « Ils nous ont perdus et se sont perdus, disaient ces marchands furieux ; qu’ils meurent maintenant ! »

Nul doute aussi que la panique n’ait été pour beaucoup dans leur fureur. Le tocsin leur troubla l’esprit ; le canon que l’on tirait leur produisit l’effet de celui des Prussiens. Ruinés, désespérés, ivres de rage et